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Le black metal norvégien : émergeance et polémiques
Posté par capricorn le 29/05/2009 00:10:01
L'histoire de la musique est une perpétuelle évolution. A travers les âges et les époques, elle a constamment mué selon à travers le monde, selon les sociétés, les mœurs et la culture.

L'un des genres musicaux les plus passionnants à étudier est la musique rock. Depuis ses racines dans le blues noir, elle est passée par de nombreux stades, épousant les mœurs et revendications de chaque époque. A cours des années 70, le hard rock et le heavy metal font leur apparition. Plus particulièrement pour le metal, la variante la plus virulente de la musique rock, l'évolution a été très significative jusqu'à l'aube du troisième millénaire. Comme si la devise du metal était "toujours plus loin, toujours plus fort, toujours plus téméraire", la musique a suivi une progression dans l'agressivité au fil du temps, particulièrement au cours des années 80 et au début des années 90. Thrash metal, death metal, grindcore... Autant de styles différents au sein d'un même genre musical, ayant repoussé les limites de la violence avec des accélérations de tempo, des distorsions de plus en plus musclées, des voix de plus en plus hurlantes.

Le début des années 90 verra l'apothéose de cette escalade. Cette descendance maudite se nomme "black metal". Particulièrement actif en Scandinavie et plus précisément en Norvège, le black metal verra émerger des groupes au visages grimés de noir et de blanc, jouant une musique très sombre, lugubre même, reposant sur une image sulfureuse et anticléricale, hurlant des hymnes à la culture païenne et à l'antéchrist. Faisant dans un premier temps le bonheur des adeptes de musique underground les plus chevronnés, le black metal a été subitement exposé au grand jour lorsque des membres de la scène se sont livrés à des actes criminels tels que des meurtres et des incendies d'églises.

Des questions se posent. Quelles sont les origines du son black metal et de l'utilisation de l'imagerie sataniste ? Pourquoi une musique si extrême s'est-elle développée particulièrement en Norvège ? D'où vient cette virulente aversion envers l'église ?

Nous allons tenter d'y apporter des réponses, bien que ce milieu soit finalement mal connu du grand public.


Les antécédents du black metal

Bien que l'on prête généralement au black metal des origines norvégiennes, c'est ailleurs qu'il faut rechercher ses influences et ses prémices, tant au niveau musical qu'en ce qui concerne son imagerie.

Les prémices des Seventies
Si l'on cherche à donner un point de départ aux influences du black metal, il faudrait remonter au commencement de l'histoire du heavy metal, au début des années 70, avec la célèbre formation Black Sabbath. Considéré comme le groupe précurseur du metal, Black Sabbath commençait d'ores et déjà à véhiculer une image sulfureuse qui a contribué à donner une saveur plus sombre à la musique rock. Tony Iommi, le guitariste, se souvient aujourd'hui que de nombreuses personnes accusaient à l'époque le groupe de pratiquer le satanisme, et que des associations religieuses manifestaient régulièrement pour faire annuler leurs prestations. Ces mêmes accusations seront proférées envers d'autres musiciens metal comme Iron Maiden, le chanteur de Black Sabbath, Ozzy Osbourne, lors de sa carrière solo, et plus récemment Marilyn Manson. Il est vrai que Black Sabbath utilisait déjà une iconographie religieuse lors de leurs concerts, par exemple avec des croix en feu.

D'autres groupes de l'époque allaient beaucoup plus loin. Une formation hard rock méconnue nommée Black Widow pratiquait de faux sacrifices durant leurs concerts au début des années 70. Le groupe Coven (dont un des membres s'appelait, ironiquement, Oz Osbourne) faisait explicitement référence au satanisme dans ses paroles, bien que leur musique ressemblait à celle de groupes des sixties comme Jefferson Airplane. Sur scène, Coven entonnait l'Ave Maria, mimait une messe satanique en latin, pendant qu'un de leurs roadies se tenait sur une croix dans la position du Christ. On peut aussi citer le célèbre chanteur Alice Cooper qui faisait preuve d'une grande théâtralité pendant ses concerts, allant jusqu'à simuler sa propre décapitation à la guillotine. Par ailleurs, son maquillage de scène rappelle étrangement les grimages qu'arboreront plus tard les musiciens de black metal.

Venom, l'élément perturbateur
Le véritable tremplin du black metal s'appelle Venom. Formé en 1979 en Angleterre, il s'inscrit historiquement dans la New Wave Of British Heavy Metal de la fin des années 70 et du début des années 80. Cependant, l'agressivité du combo, inédite à son époque, en fera un précurseur du thrash metal (genre dans lequel s'illustreront Slayer, Megadeth et Metallica) et du black metal. La musique de Venom était, de l'aveu de ses musiciens, fortement inspirée par Black Sabbath, mais aussi Deep Purple, Kiss et Mötörhead dont ils conserveront la vélocité d'exécution, ainsi que la musique punk. Venom faisait aussi clairement référence au satanisme, tant dans ses paroles blasphématoires que dans la mise en scène outrancière de ses spectacles, ce qui, à l'époque, troublait la plupart des afficionados de heavy metal.

Bien entendu, toute cette imagerie satanique n'était que du second degré et avait pour unique but de provoquer. Le chanteur brailleur Cronos avoua en 1985 au magazine Kerrang ! Qu'ils ne croyaient ni au satanisme ni à quelque forme d'occultisme que ce soit. Cependant leur impact sur la future scène black metal est indéniable, la dénomination "Black Metal" venant d'ailleurs de l'album de Venom du même nom, paru en 1982.
Durant les années 80, bien que jouant du heavy metal bien plus proche de Judas Priest que de Venom, le groupe Mercyful Fate aura une influence non-négligeable sur le futur black metal. Leurs paroles blasphématoires et le grimage singulier du chanteur King Diamond sont deux paramètres qui se répercuteront par la suite. Cependant, ce dernier déclarait ouvertement dans la presse à scandale qu'il était partisan de la philosophie sataniste telle que la décrivait le fondateur même de l'église sataniste, Anton LaVey, dans sa Bible satanique, ce qui était une première dans l'histoire du heavy metal.

En 1984, un groupe suédois nommé Bathory va, grâce à un premier album éponyme, attirer l'attention de tout un cortège de fans de metal underground. Etonnant de la part d'un groupe suédois, dans un pays encore peu enclin à la musique extrême, quand on sait qu'à l'époque, le groupe de rock suédois qui cartonnait était Europe (qui explosera dans le monde deux ans plus tard avec le tube The Final Countdown). Bathory jouait un metal extrêmement véloce pour l'époque, agressif et mal produit (l'album avait été enregistré en deux jours dans un studio douze pistes), avec des paroles abordant des thèmes comme la magie noire et le satanisme. Au fil du temps, la musique de Bathory deviendra plus lente, plus épique et abandonnera le satanisme des débuts pour orienter les paroles vers des thèmes tels que le paganisme mythologique et les récits de leurs ancêtres vikings. La musique du groupe aura une influence indéniable sur le son du black metal nordique.

Plus rapide et plus méchant
Pendant ce temps, au milieu des années 80, la scène metal américaine en pleine effervescence donnait naissance à un nouveau genre : le death metal. Né de musiciens lassés de voir le thrash metal devenir de plus en plus médiatisé, le death metal repoussait les limites de la rapidité, de la technicité et de l'agressivité, qu'elles soient intrumentales ou vocales, avec des groupes comme Death, Obituary, Morbid Angel ou Deicide, avant de déboucher au Royaume-Uni sur un genre encore plus extrême nommé "grindcore". Les paroles typiques du death metal évoquaient la violence (ou plutôt ultra-violence), inspirées d'histoires morbides, de films d'horreurs et autres slasher movies produits par paquets aux USA à cette époque. Le death metal a finalement atteint la Suède, comme en atteste le groupe Unleashed qui, contrairement aux groupes américains, préférait évoquer dans ses paroles les vikings et la thématique païenne, à l'instar de Bathory. Mais, tel le thrash metal avant lui, le death metal attirait à lui les sirènes commerciales du business musical, au regret des fans puristes et des groupes autoproclamés "intègres" qui déploraient la disparition de la qualité au profit de la quantité.

C'est en Norvège que quelques groupes de death metal répondant aux noms de Mayhem ou Darkthrone, rejoignant le cortège des pourfendeurs du death metal "commercial", ont compris que pour revigorer une scène qui avait perdu sa saveur underground, il fallait aller plus loin que leurs prédécesseurs et outrepasser les frontières de la violence musicale.
C'est ainsi qu'est né le black metal norvégien.


Le black metal norvégien : né dans le feu et le sang

Comment s'est déroulée la naissance de la scène black metal en Norvège et pourquoi s'est-elle rendue aussi tristement célèbre ? Focus sur l'émergence du black metal norvégien. Avant toute chose, sachez que les évènements et anecdotes cités dans ce chapitre sont véridiques.

Un pionnier nommé Mayhem
L'histoire du black metal norvégien est indissociable du groupe Mayhem, et plus particulièrement de son guitariste, Øystein Aarseth, considéré à juste titre comme le "parrain" du milieu. Aarseth fonde Mayhem en 1983, alors qu'il était âgé de seulement quinze ans. Le groupe joue à ses débuts un death metal primitif, brutal. Mais rapidement, Aarseth s'investit dans une image plus sombre, adoptant des maquillages macabres sur scène et sur les photos du groupe. Il s'intéresse de plus en plus au satanisme mais en vient vite à s'opposer à la vision prônée par Anton LaVey, basée sur le matérialisme et l'individualisme. Il définit sa vision du satanisme telle qu'il est perçu par les chrétiens, inversant les dogmes du christianisme et encourageant tout ce qui était morbide et blasphématoire. Il adopte comme pseudonyme "Euronymous". Eurynomos, dans la mythologie grecque, est une créature vivant sous terre au royaume des morts. Cependant, l'orthographe "Euronymous" apparait dans La Bible Satanique d'Anton Lavey qui le définit comme le prince des morts.

En 1988, un suédois du nom de Per Yngve Ohlin rejoint Mayhem au poste de chanteur. Il se fera connaître sous le pseudonyme "Dead". A la même époque, divers groupes d'Oslo prennent peu à peu contact et constituent un réseau considéré comme le commencement de la scène black metal norvégienne. Progressivement, de jeunes norvégiens originaires des quatre coins du pays commencent à correspondre avec Euronymous et les autres membres de la scène naissante d'Oslo, puis se rencontraient en personne le temps de quelques concerts donnés en Norvège par des groupes de metal plus importants.

Dans l'antique ville de Bergen, fierté nationale norvégienne, un autre acteur incontournable du black metal débute en tant que guitariste dans le groupe de death metal Old Funeral. Kristian Vikernes (qui, par dégoût pour la dimension chrétienne de son prénom, le changera légalement au profit de Varg), alors adolescent, rencontre quelques uns des futurs grands du black metal norvégien, dont Euronymous avec qui il se liera d'amitié. Varg Vikernes fondera en 1991 son propre groupe, Burzum (en hommage à J. R. R. Tolkien), dont il est le seul membre.

L'intégration de Dead dans Mayhem donnera une image définitivement sulfureuse au groupe. Ses hurlements, qui constituaient les parties vocales de la musique de Mayhem, auront une influence majeure sur les futurs groupes de black metal. Dead, comme son pseudonyme l'indique, était fasciné par la mort et vouait une véritable obsession envers tout ce qui était macabre et sanglant, doublée d'une forme mineure de schizophrénie rendant son état mental instable. Ainsi, il enterrait ses vêtements dans un cimetière afin de leur donner une odeur de décomposition et il s'enterrait lui-même avant les concerts de Mayhem pour se donner un teint livide. Aussi, il se coupait régulièrement sur scène à l'aide de morceaux de verre ou de couteaux de chasse (il était d'ailleurs un fervent chasseur).

Fidèle à son pseudonyme, Dead se suicide à l'âge de 21 ans le 8 avril 1991. Après s'être profondément tailladé les poignets, il se tire, en pleine tête, une balle de carabine (issue d'un lot offert pour Noël par Varg Vikernes), dans un chalet qu'il partageait avec les autres membres de Mayhem. Découvrant le corps, Euronymous s'empressa d'en prendre plusieurs Polaroïds et de ramasser quelques morceaux de la boîte crânienne béante avant d'alerter la police. L'une des photos a d'ailleurs servi pour la pochette d'un album live bootleg de Mayhem : Dawn of the Black Hearts. Euronymous se servira du suicide de Dead pour alimenter encore l'intérêt porté à Mayhem et au black metal.

Deux mois plus tard, Euronymous ouvrit son propre magasin à Oslo qu'il nomma Helvete ("enfer" en scandinave). Ce magasin était spécialisé dans la vente de disques de musique metal, et plus particulièrement de metal extrême. Plus qu'un magasin, c'était aussi un lieu d'enregistrement pour les groupes qu'Euronymous signait sur son propre label, Deathlike Silence. Parmi ces groupes, il y avait Mayhem, Burzum, Abruptum et Enslaved. Il servait aussi de lieu de rassemblement pour les musiciens de black metal environnants, dont ceux qui formeront ce qu'Euronymous appellera l'"Inner Black Circle", comme Varg Vikernes ou Bard "Faust" Eithun et Samoth du groupe Emperor

Le groupe qui lancera véritablement la "seconde vague" de black metal (l'initiation de la première étant attribuée à Venom) est Darkthrone. La rencontre du groupe avec Euronymous a été décisive pour son orientation musicale, et l'album "A Blaze In The Northern Sky" (1992) instaure les caractéristiques propres au "true black metal", qui seront reprises par d'innombrables formations : maquillage sinistre définit plus tôt par Euronymous, son de guitare outrageusement saturé, hurlement macabres inspirés de ceux de feu Dead, textes faisant l'apologie du satanisme et des paysages forestiers inquiétants de la Norvège.

De scandale en scandale
A la fin de l'année 1991, une soudaine vague de profanations de tombes frappe en Norvège. Les médias pointeront du doigt le groupe de death metal américain Morbid Angel et l'excitation provoquée par un de leurs concerts à Oslo. Varg Vikernes, accusé pendant un temps, sera finalement disculpé après la rétractation du seul témoin.

Le 6 juin 1992, un des piliers du patrimoine norvégien part en fumée. L'église de Fantoft, l'une des plus majestueuses églises en bois debout de toute la Norvège, est incendiée. Les journaux nationaux s'emparent de la nouvelle et en font leurs gros titres. Encore une fois, Varg Vikernes est suspecté d'en être l'initiateur, mais aucune accusation ne sera obtenue à son encontre. Peu de temps après, d'autres églises et chapelles seront victimes d'attentats pyromanes. Ainsi, environ 45 à 60 églises ont été la cible de ces incendies criminels, bien que la plupart aient échoué. Selon Sjur Helseth, chef du département technique de la direction de l'héritage culturel, près d'un tiers de ces tentatives avaient un lien direct avec la communauté black metal. Effectivement, certains membres de l'Inner Black Circle, comme Varg Vikernes et Samoth, sont à l'origine de la plupart de ces incendies.

Varg Vikernes, accusé pour les incendies de la chapelle d'Holmenkollen et des églises de Skjold et Åsane, a été condamné en 1997 à verser à la ville d'Oslo et à la compagnie d'assurance Gjensidige une somme totale de 8 millions de couronnes (près de 920 000 &euro avec un taux d'intérêts de 12% calculé depuis mi-1996.

Ce sont ces crimes antichrétiens qui ont suscité un attrait grandissant de la part des médias. Le numéro 436 du magazine musical anglais Kerrang ! A consacré un article complet sur le black metal, avec un titre des plus racoleurs : "Arson... Death... Satanic ritual... The ugly truth about black metal". L'article reprend des interviews de Varg Vikernes et Euronymous dans lesquelles ils fanfaronnent à propos de la vague de crimes liée au black metal en Norvège, perpétrée par une soi-disant organisation nommée "les Terroristes Sataniques". L'article a également été le premier à qualifier le black metal de "neo-fasciste" en rapportant les dires des groupes anglais Venom et Paradise Lost. Cependant, Varg Vikernes va dans ce sens en affirmant :

"Je soutiens tous les dictateurs : Staline, Hitler, Caucescu... Et je deviendrai le dictateur de la Scandinavie."

Cet article de Kerrang ! (le plus important magazine au monde traitant de la musique metal) a ainsi permis au black metal d'acquérir une notoriété internationale.

La nuit du 21 août 1992, un homme, Magne Andreassen, est tué de plusieurs coups de couteau dans un bois du parc olympique de Lillehammer. Le coupable est retrouvé un an plus tard : il s'agit de Bard Eithun, le batteur du groupe Emperor. La victime était un homosexuel qu'il avait croisé par hasard lors d'une promenade et qui lui avait fait des avances.

Un leader s'en va
Dans la nuit du 9 au 10 août 1993, un autre meurtre marquant a lieu. Cette fois-ci, la victime est Euronymous. Stupeur au sein de la scène black metal, le meurtrier est Varg Vikernes. Il s'était invité de nuit chez Euronymous et l'avait assassiné de 23 coups de couteau selon le rapport officiel. Cependant, les circonstances exactes restent floues. Vikernes plaide la légitime défense, prétendant qu'il avait été menacé de mort. Les motivations de Vikernes sont encore incertaines. Ses rapports avec Euronymous s'étaient envenimés et il semblerait qu'il y ait eu des conflits d'argent entre les deux hommes à propos d'un album de Burzum alors signé sur Deathlike Silence. Il est également probable que Vikernes, alors deuxième homme de la scène black norvégienne, ait été motivé par la jalousie envers Euronymous qui jouissait de la place de parrain et leader.

L'Inner Black Circle disparaîtra avec ce dernier. Peu avant, Euronymous avait été contraint de fermer son magasin à cause de la mauvaise presse que lui faisaient les médias et les suspicions grandissantes de la police. Varg Vikernes, de son côté, a été condamné à 21 ans de prison ferme pour meurtre.


Pourquoi la norvège ?

L'histoire du black metal, jonchée de crimes et de scandales, laisse des questions en suspens. Pourquoi le black metal s'est-il particulièrement développé en Norvège ? Quelles sont les origines des revendications de ces groupes extrêmes ?

Norvège et Christianisme
Tout d'abord, il faut savoir que le protestantisme, la religion officielle de la Norvège, est géré par l'église Norvégienne sous la houlette de l'Etat. La Norvège étant une monarchie parlementaire, l'église luthérienne est gouvernée par le roi de Norvège (Harald V depuis 1991). Selon la loi, la moitié du gouvernement doit être composée d'hommes d'églises. Cependant, le rôle de l'Eglise s'est considérablement affaibli dans la société norvégienne, et bien que 88% de la population norvégienne adhère au luthérianisme, seulement 2 à 3% se rendent régulièrement à la messe. La baisse d'influence de l'église luthérienne a permis l'expansion d'autres orientations religieuses. L'évangélisme est très fort et la Norvège compte parmi les pays qui ont compté le plus de missionnaires par habitants. L'évangélisme est puissant et conservateur, surtout dans certaines régions comme la côte Ouest et le Sud où il est mal vu de danser ou de boire de l'alcool. Dans les régions lapones du Nord, les tabous sont aussi très stricts : les postes de télévision par exemple sont très mal vus. Le conservatisme du christianisme norvégien est tellement influent que par exemple, la comédie des Monty Python La Vie de Brian a été interdite de diffusion car jugée outrageusement blasphématoire.

Historiquement, c'est au Xème siècle que le christianisme se répand en Norvège, pendant l'ère viking. Plus tôt, des expéditions d'évangélistes avaient sans succès tenté de prêcher la bonne parole en Scandinavie sauf chez les Danois en 823 après J. C., mais les vikings norvégiens avaient fait fuir les missionnaires. Le siècle suivant voit le christianisme prendre le dessus malgré des révoltes menées par des norvégiens païens contre leurs souverains qui avaient pactisé avec les chrétiens d'Europe, laissant le christianisme entrer en Scandinavie.

Les faits historiques semblent confirmer la pensée de Gruntle Kjellson, bassiste et chanteur du groupe Enslaved, à propos des incendies d'église.

"Je crois que les chrétiens de Norvège méritaient ça. A l'origine, ce n'était pas une religion que les Norvégiens avaient choisi, elle leur a été imposée. Cette situation dure depuis mille ans. Ça ne me rend ni triste ni heureux, mais d'un point de vue historique, le christianisme méritait ce genre d'incendies criminels."

La plupart des musiciens de black metal, par rejet du christianisme et/ou par fascination pour leurs ancêtres, se sont intéressés au paganisme et à la religion polythéiste de l'époque, comptant des dieux comme Thor et Odin. Varg Vikernes par exemple a peu à peu délaissé le satanisme afin d'affirmer sa croyance en Odin, le roi des dieux scandinaves. Enslaved a, dès 1992, sorti un mini-album intitulé Yggdrasil tel l'arbre de vie et de savoir dans la mythologie scandinave. Si l'on regarde d'un peu plus près, on constate des convergences entre ce retour aux valeurs païennes et le satanisme du black metal : les deux prônent le retour de l'homme à des valeurs plus instinctives communes aux animaux, plus proches de la nature, et paganisme et satanisme se montrent hostiles envers le christianisme, que les musiciens de black metal jugent trop indulgent et hypocrite à cause du pardon de tous les péchés par la confession.

Une impasse culturelle sur la violence
La culture ancienne en Norvège est toujours très présente au travers des contes et légendes. La présence des grandes forêts ont été propices aux histoires de sorcières et aux légendes de trolls qui font partie intégrante de la culture du pays. Certains groupes de black metal comme Ulver ont d'ailleurs abandonné l'imagerie rattachée au black metal pour adopter des aspects plus proches de ces légendes. A l'inverse, les légendes modernes ont la vie dure en Norvège et la culture de l'horreur a toujours été rejetée. Tandis que l'Amérique par exemple a largement développé sa culture de l'épouvante, depuis les récits d'Edgar Allan Poe jusqu'aux slasher movies de Tobe Hooper, John Carpenter et Wes Craven, la Norvège n'a produit qu'un seul film d'horreur en 70 ans de cinéma. Les productions étrangères, si elles n'étaient pas bannies d'office, étaient systématiquement censurées. Cette censure ne se limite pas qu'au cinéma, elle touche tous les médias. Le programme franco-polonais pour enfants Colargol, par exemple, avait été retiré des grilles de programmes suite à un épisode dans lequel on apercevait une arme.

L'imagerie violente du black metal peut provenir de cette censure norvégienne. Les "black métalleux" seraient en fait comme des enfants auxquels on a imposé une interdiction stricte : ils développent une grande attirance envers l'interdit et en profitent à outrance dès qu'ils y ont accès.
Aussi ce décalage avec le reste de l'Europe s'est répercuté dans le comportement des jeunes norvégiens. Quand les anglais de Venom criaient des propos blasphématoires, violents et antireligieux, il s'agissait uniquement de second degré et de provocation, mais les jeunes norvégiens ont pris les paroles au sens strict.

Selon Martin Alvsvag, diplômé du Séminaire Théologique d'Oslo, le haut niveau de vie de la Norvège (avec actuellement un PIB de 54 000€ par habitant et un taux de chômage de 2,1%) a rendu les jeunes "blasés", en manque de sensations fortes. 2 Le black metal aurait ainsi répondu à un besoin, en plus de l'appartenance à un groupe social.


Conclusion

Le black metal fait partie de ces genres musicaux extrêmes et difficilement accessibles. Cette dégénérescence du heavy metal a, a priori, toutes les tares, et pourtant elle est appréciée et adulée par des millions de fans dans le monde.

Pourtant, la réputation sulfureuse qu'il traîne derrière lui ne joue pas en sa faveur. Les mentalités de la plupart des acteurs de la scène black metal peuvent choquer, qu'il s'agisse de satanisme plus ou moins exacerbé ou d'un paganisme pouvant déboucher sur un nationalisme extrême, et même sur une idéologie fasciste ou néo-nazies (il existe en effet des groupes œuvrant sous la bannière du NSBM pour National-Socialist Black Metal). Varg Vikernes par exemple, encore en prison jusqu'en 2014, a développé sa pensée odiniste jusqu'à écrire un livre sur la culture païenne, incluant des réflexions discriminatoires et racistes.

Depuis, certains groupes de black metal norvégien présents dès les débuts du genre ont revu à la baisse leurs ardeurs concernant leurs revendications. Beaucoup mettent ça sur le compte de la jeunesse et de l'immaturité. Ils revendiquent toujours leurs positions antichrétiennes mais ne reproduiraient pas des actes comme des incendies ou des profanations.

L'émancipation d'un tel courant musical en Norvège, ainsi que de ses conséquences, provient essentiellement des particularités sociales, culturelles et historiques de ce pays. Elle est le fruit d'une jeunesse qui, à la fin de son adolescence, désirait un exutoire qu'elle se trouva dans une musique extrême, qui se voulait plus extrême encore que les courants de metal extrême qui existaient à l'époque. Ils furent les initiateurs d'un metal suivant leurs propres règles, véhiculant leurs propres idéaux, avec un désir de s'autogérer au sein d'un cercle confidentiel.

Mais plus récemment, le satanisme du black metal est accusé de servir d'argument commercial. Il est vrai qu'avec l'apparition du black metal dit symphonique (boudé par les amateurs de "true black metal", l'imagerie satanique a contribué à donner une image sulfureuse à une musique moins extrême tout de même que le black metal originel. Un excellent exemple est le groupe norvégien Dimmu Borgir qui a signé en 1997 chez le célèbre label allemand Nuclear Blast. Leurs pochettes, leurs photos promotionnelles et leurs clips utilisent bel et bien l'imagerie sataniste mais l'idéologie est en réalité absente. Contrairement au black metal d'origine, leur son est très clair et l'aspect majestueux et épique de leur musique a progressivement été renforcé par la collaboration avec un orchestre symphonique. Leurs disques se vendent à présent par centaines de milliers dans le monde. D'autres groupes, comme les anglais de Cradle Of Filth, sont boudés par la communauté black metal puriste pour les mêmes raisons.

C'est à se demander si finalement, le black metal ne subirait pas actuellement le fléau que les initiateurs de ce genre reprochaient, à l'époque, aux autres courants métalliques.

Sources

Ouvrages :
- MOYNIHAN Michael, DIDRIK Soderlind, BLACK METAL SATANIQUE : LES SEIGNEURS DU CHAOS, USA, Norvège, Camion Blanc, 2005
- Collectif, LE GUIDE DU ROUTARD : LA NORVEGE (EDITION 2008/2009), France, Hachette, 2008

Internet :
- http://metal.nightfall.fr/, NIGHTFALL IN METAL EARTH, webzine au sujet de la musique metal, critiques de CD.
- http://www.wikimetal.info/, WIKIMETAL, encyclopédie participative de la musique metal.
- http://www.norvege-fr.com/, NORVEGE-FR. COM.
- http://www.crypticmadness.com/, CRYPTIC MADNESS, site consacré au metal extrême.

Cinéma :
- METAL : VOYAGE AU CŒUR DE LA BETE, DUNN Sam, McFADYEN Scott, JOY WISE Jessica, Seville Pictures, Canada, 2006.
- GLOBAL METAL, DUNN Sam, McFADYEN Scott, Seville Pictures, Canada, 2008.

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Re: Le black metal norvégien : émergeance et polémiques
Posté par nicolas walzer le 29/05/2009 10:51:11
Article intéressant. Petit rectificatif : Vikernes a été libéré de prison il y a 15 jours.
Attention à ne pas prendre "Les Seigneurs du chaos" comme référence car Moynihan a été prêtre sataniste et est militant d'extrême droite proche des néonazis américains ! Donc à prendre avec des pincettes !
Sociologue j'ai publié plusieurs ouvrages sur la question. Dites moi ce que vous pensez de mes travaux ici cela me permet toujours d'avancer : http://www.myspace.com/nicolaswalzer
Merci bien !
__________________
Nicolas Walzer
Sociologue
http://www.myspace.com/nicolaswalzer

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Re: Le black metal norvégien : émergeance et polémiques
Posté par capricorn le 29/05/2009 14:17:19
Merci pour votre commentaire! Ça fait plaisir de se savoir lu si peu de temps après la publication de l'article (publié aujourd'hui même).
Je n'étais pas au courant pour la libération de Vikernes, mais j'ai rédigé ce texte à la base pour mes études et ce il y a plus de deux mois. En ce qui concerne "Les Seigneurs du Chaos" je ne savais que très peu de choses à propos des auteurs, et devant la pauvreté de la littérature documentaire à ce sujet, je n'ai pas vraiment eu le choix dans mes sources. Vous qui êtes l'auteur d'"Anthropologie du metal extrême" (aux éditions Camion Blanc que j'affectionne particulièrement), vous devez en savoir quelque chose.
En tout cas, je vous remercie encore pour votre commentaire des plus utiles, et je vous souhaite une bonne continuation dans vos ouvrages!

Christophe

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Re: Le black metal norvégien : émergeance et polémiques
Posté par tchit le 30/05/2009 19:58:14
Tres bon article !

Par contre pour etre alle a un concert de Black Metal Norvegien... cette musique ne m'attire pas du tout..

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