Monsieur Roman Polanski,
Je suis choquée car, comme vous, je me retrouve aujourd'hui enfermée chez moi.
Vous, cela a duré quelques mois. Moi ça fait douze ans. Je précise que le suis une victime.
Etant donné que, dans ma prison à moi, il n'y a pas de gardien, je sors tout de même quelques fois pour aller m'acheter à manger, pour déménager lorsque qu'on me met dehors (3 fois en douze ans), pour allez prier... Et pour aller boire un verre avec des gens qui ne savent rien de ma vie de chien.
Je travaille réellement seulement depuis 4 ans car, avant, trop traumatisée, je trouvais seulement la force de faire des petits boulots ponctuels à gauche, à droite, en perdant tous mes moyens lorsque un regard dominateur se posait sur moi. Oui, il y a des traumatismes qui peuvent tout détruire, il faut que vous le sachiez...
Et étant donné que vous n'avez pas eu un mot pour les victimes de viols lors de votre "incarcération", je ne suis pas sûre que vous le sachiez.
La prison aux barreaux invisibles
Lorsque je dis que je"travaille réellement depuis 4 ans", cela signifie que j'ai réussi à trouver le subterfuge de travailler de chez moi pour n'être dominée par personne. Donc, je gagne ma vie devant mon ordinateur, pendue à mon téléphone pour chercher le prospect qui me fera (dans mes rêves) gagner assez d'argent pour que je puisse revenir au métier que j'exerçais avant l'horreur.
Oui, comme vous, Monsieur Polanski, je tournais des films. Seulement des courts-métrages, mais je préparais un long...
Et patatrak ! De la drogue dans un verre, le trou noir, l'horreur, une marque au fer rouge dans mon corps, indélébile.
Puis la prison... Celle aux barreaux invisibles. Avec un sparadrap sur la bouche aussi, pour garder le silence.
Ensuite, j'ai vécu deux autres drames tout aussi immonde, un an et sept ans après le premier. Les trois ont été commis par des hommes issus de la mode, du cinéma, de la pub. Comment peux-t-on croire que ces hommes, ces artistes au talent immense eux aussi, soient aujourd'hui ainsi jeter en pâture ? !?... Pour reprendre la tirade de l'un de vos amis proches, dont le déni de souffrance des victimes de viol, bien marquée dans celle-ci, m'a fait vomir. Car pendant votre incarcération, les victimes du monde entier se prenaient de sérieuses claques, je peux vous dire !
Pour toutes celles et tous ceux qui ont été victimes d'abus
A ce sujet, je précise que je ne suis pas une mythomane ou une nymphomane, non, je suis juste une fille qui rêvait de faire partager ce qu'elle avait dans le coeur par son art. La création, c'est la chose que j'aime le plus au monde. Mais cet amour inconditionnel, vital, m'a fait rencontrer des hommes, qui, comme vous, projettent sur l'innocence de certaines filles de la perversion qui ne leur appartient pas.
Je vous écris cette lettre car moi aussi, je n'en peux plus. Puisque l'"intelligentsia française" vous a permis de sortir de vos murs et de retourner à votre métier. Je voudrais que, par gratitude, vous aidiez une victime dans le même sens. Pour toutes celles et ceux qui ont été victimes d'abus... Et pour vous, peut-être, car après la vie... On ne sait pas.
Voici donc mon "Je ne peux plus me taire"... Qui, je l'espère, vous touchera...
La loi du silence
Aujourd'hui je ne peux plus me taire !
Je ne peux plus me taire car la première plainte que j'ai déposée n'a pas encore été transmise au parquet. Cela fait dix ans ! Après avoir été confrontée à l'un de vos assistants, quand celui-ci partit, je pût l'entendre ricaner avec les policiers dans le couloir. Ça sert de travailler pour vous ?
Je ne peux plus me taire car, d'avoir subit le pire et d'oser m'en plaindre aujourd'hui, me rend coupable auprès d'un milieu qui prône la loi du silence et qui se permet tout auprès de jeunes gens et de jeunes femmes qui rêvent... Et qui sont en demande (et non-prêts à tout, pour reprendre le terme d'un de vos amis cinéastes)
Je ne peux plus me taire car j'ai été mise à l'écart pour avoir parlé. Ceci a renforcé indéniablement le pouvoir du traumatisme. On dit toujours que dans la torture de l'enfermement, le pire, c'est la solitude. Ne pas avoir quelqu'un à l'extérieur qui sait et qui vous soutient, peut vous tuer. Je suis morte mille fois.
Classement VIP (very intouchable personne)
Je ne peux plus me taire car la police m'a traitée pendant 4 heures comme une coupable, en me malmenant psychologiquement d'un manière honteuse. Les ayant menacés de référer ces actes à la police des polices, ceux-ci me parlent aujourd'hui de "méthoded'entretien pour faire avancer l'enquête... Hum.
Je ne peux plus me taire car dans six mois, je risque d'entendre, comme 3/4 des victimes de viols, une des deux sentences : classement sans suite, non-lieu. (qui peuvent se traduire aussi, en France, par classement VIP : VERY INTOUCHABLE PERSONNE). Je cherche une porte de sortie. La seule que je vois est mon retour à la création.
Je ne peux plus me taire car je ne vis pas comme un être humain digne de ce nom depuis douze ans. J'ai réellement passé les 3/4 de mon temps enfermée chez moi. Cette réaction d'isolement étant temporairement la seule que connaisse les victimes pour se protéger des autres. Puis l'isolement entraîne très vite la précarité. La précarité ne permettant pas de se re-socialiser lorsque l'on se relève. Par miracle, si on réussit à remonter la pente, il est extrêmement dur de re-tisser les liens forts avec d'autres, car l'habitude s'est installée, la honte persiste, et l'autre est, encore malheureusement associé à un risque d'agression
Monsieur polanski, voulez-vous bien m'aider ?
Je ne peux plus me taire parce que, lors de votre "incarcération" en Suisse, j'ai craqué et envoyer plusieurs mails ditirenbiques, où je faisais part de ma situation à des gens qui vous entourent professionnellement. Mon indignation justifiée par rapport à la pétition de BHL s'est retournée contre moi.
Je ne peux plus me taire parce que lorsqu'on est en prison pour avoir été victime de viols, on ne peut rien hypothéquer pour en sortir. Les barreaux de celles-ci sont invisibles et nous suivent partout. On perd sa famille aussi, car les graines de haine de cet acte infâme nous poussent à crier, hurler, pleurer, et tout perdre.
On se coupe de tout ce qu'on a été avant, voilà par quoi je voulais terminer. Avant, j'étais metteur en scène. La vie telle que je la voyais, j'allais pouvoir la partager. J'avais trouver ma voie. Après... Pendant douze ans, je n'ai pas pu, le moindre regard de l'autre faisait baisser le mien.
J'ai envie de m'y remettre, Monsieur Polanski. Voulez-vous bien m'aider ?
Arnica Montana (Groupe Jeunesse Lève Toi) |