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Cleveland : maison ou prison matricielle ?
Posté par editions breal le 15/08/2013 00:00:02
Une ou plusieurs jeunes filles, voire des enfants, séquestrés par un homme dans une maison transformée en prison. Le fait est avéré, et s'est répété dans les faits divers à plusieurs reprises ces dernières années, jusqu'à récemment pour les trois captives de Cleveland.
Le scénario en est quasiment invariable : la ou les victimes sont l'enfant du bourreau, et presque toujours la fille, ou une amie de la fille, ou en âge d'être les filles de leur geôlier. Elles sont enfermées dans un local exigü, sans confort, privées de la lumière du jour. Celui que sa victime doit parfois nommer "maître "établit le règne de l'esclavage : il donne et reprend comme bon lui semble la lumière, l'eau, la nourriture, il distribue les tâches, les coups, les humiliations et impose ses exigences, en particulier sexuelles, par la violence, la menace, le chantage. Il peut mettre à mort l'enfant né de ses œuvres ou l'enfant à venir, détruire sa descendance pour privilégier son confort. Il cherche avant tout à maintenir les conditions de sa toute-puissance.

Ces hommes ne sont pas identifiés par leur entourage quotidien comme des personnes a priori asociales ou dangereuses. Ils ont parfois eu maille à partir avec la police ou les services sociaux, mais n'ont pas été identifiés comme toxiques au point que leurs leur comportement soit surveillé, leurs faits et gestes examinés.
Souvent ils travaillent, sont mariés, ont une descendance qui connaît un autre sort que la torture. Ils ressemblent à des hommes que nous croisons chaque jour, ils vivent en Europe, en Asie, aux États unis, leurs crimes peuvent se révéler n'importe où.
Qui sont –ils ? Des monstres, des "a-normaux" ?

Ces hommes suivent un protocole symboliquement inverse à celui que l'humanité, en tant que conscience partagée et universelle, attend d'eux : comme des pères fous, dénaturés, ils enferment dans une matrice factice leur enfant ou celle qui pourrait l'être, ils lui ferme l'accès à lextérieur, au passage vers l'air et la lumière annonciateurs de naissance. Ils en abusent au lieu de la protéger, ils s'en servent pour entretenir l'illusion de leur toute-puissance plutôt que de chercher à les aimer. Leur sexe qui a engendré ou aurait pu engendrer l'enfant devient l'instrument de leur torture répétée.
Il est difficilement imaginable que ce scénario sinistre, répété par Philip Garrido, Josef Fritzl, Ariel Castro, entre autres, soit une anomalie inexplicable et aléatoire. Peut –être n'est –il pas non plus aussi exceptionnel que nous souhaiterions le penser. Pour une affaire qui éclate au grand jour, il faut envisager qu'il y en ait bien d'autres qui restent encore dans l'ombre
Cette intention pervertie est de voler la vie d'autrui - le plus souvent un enfant, une femme - plutôt que de le tuer, le traiter comme le jouet d'un despote cruel, et cela sans relâche. C'est vouloir faire de lui un objet sans âme, le réduire au reflet d'un tortionnaire impuissant à exister en tant qu'être, et résumé par ses actes et ses empêchements...
Comme le rappelle le titre du livre de Jaycée Dugard "A stolen life", c'est d'un meurtre ultime qu'il s'agit, celui d'un rapt renouvelé à chaque instant, l'empêchement de l'expérience d'une vie humaine à part entière. Comme aux pires moments de la barbarie, le but inavouable mais avéré est de retirer à un autre le droit de se penser humain.

Si nous acceptons de regarder plus loin que le fait-divers, par essence exceptionnel, pour appréhender la dimension collective qui se dit dans cette mise en scène d'une paternité devenue folle, nous devons reconnaître qu'elle se fonde sur un modèle. Ces dispositifs caricaturaux, qui singent la paternité par une inversion perverse, sont à interroger aussi comme les produits d'un credo sous- jacent dans la culture patriarcale lorsqu'elle se dégrade : être un homme consisterait ainsi à faire régner l'ego, imposer sa loi arbitraire, prendre par la force, mettre la sexualité au service exclusif de la jouissance pour posséder et consommer, renier toute responsabilité de ses actes, y compris et surtout celui d'engendrer, et être capable de cliver sa vie intime et sa vie sociale.
Ce modèle, présenté aux hommes comme une forme de réussite, via la publicité par exemple, est simpliste, mais il touche une fibre profonde, sans référence à un milieu social ou économique particulier. Dominer et ignorer la souffrance de ceux qui subissent l'abus, l'exploiter comme une source de plaisir, mettre en avant la loi de son bon plaisir au détriment de l'éthique, enfermer l'autre dans une réalité truquée comme un piège, au point de lui faire renier la possibilité d'une autre vie, c'est possible et même banal, dans de nombreuses situations professionnelles, sociales, familiales.
La violence faite aux jeunes filles dans ces atroces histoires de séquestration est emblématique de celle qui est subieà chaque instant dans bien des lieux et bien des relations, sous couvert de nécessité de survie, donc d'un rapport de force profitable à l'un, aux dépends de l'autre.
Il est urgent de prendre la mesure de la perversité qui hante et mine souterrainement notre société encore bien abusivement patriarcale envers ses enfants de tous âges et des deux sexes, sans se limiter au simple commentaire indigné d'un fait divers atroce... Et récurrent.


Carole Labédan

Carole Labedan est est analyste transgénérationnelle, conférencière et enseignante.
Le travail qu'elle mène depuis vingt ans est fondé sur la croisée de l'inconscient familial avec le désir de l'individu.

Inceste : la réalité volée - Carole Labedan - Editions Bréal - 2012

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