L'Amérique du Sud ravagée Posté par rosti le 02/09/2004 00:00:56
"Nous ne sommes pas un pays du Tiers monde, nous faisons partie du premier monde". C'est le président de l'Argentine dans l'immédiat de la Deuxième Guerre mondiale qui le dit. Son pays est riche; ses industries produisent. Et qui ne le croirait pas ! : les investisseurs affluent. L'Amérique du Sud semble pouvoir se déposséder de son qualitatif de "périphérie". Oui, tout va pour le mieux.
"Nous sommes en train de subir une africanisation de l'Amérique du Sud". C'est le président du même pays qui constate la situation désastreuse après la crise de 2001. Instabilité politique, paupersation, misère : l'image des pays d'Amérique du Sud ressemble à celle de l'Afrique. Pourtant, au regard de la situation de l'après-guerre et contrairement à cette dernière, on aurait pu aisément croire à un développement progressif vers la prospérité de ses pays. Comment expliquer ce tournant ?
L'Amérique du Sud a toujours été un cas à part dans le processus de mondialisation. Rapidement émancipée politiquement du joug colonial (début du XIXe siècle), elle a suivi une voie unique.
Durant tout le XIXe siècle, les pays d'Amérique latine vont tenter de mener une politique de nationalisation économique afin de lutter contre la pénétration forte des investisseurs étrangers qui asservissent les productions du pays. Sans succès; l'impérialisme économique continue de prédominer.
Le XXe siècle sera états-uniens. Dès l'ammendement Roosevelt à la doctrine Monroe, les USA affirment explicitement leur projet impérialiste pour l'Amérique du Sud. Car il ne s'agit pas d'intervenir pour "protéger les pays voisins", comme la Maison Blanche le fait croire, mais bien d'intervenir pour soutenir les investissements des yankees de plus en plus fréquents.
Bref, si l'on fait à présent un saut dans le temps, dans les années 50, l'Amérique du Sud va étonnemment bien, du point de vue économique. Certes, elle reste en grande partie assujétie aux grandes puissances économiques du monde, mais au moins les épiceries sont pleines !
Les gouvernements pensent alors qu'il serait opportun de mener une politique plus protectionniste, visant une nouvelle fois à une nationalisation de l'économie pour remettre en main des indigènes les ressources prinicipales des pays. Volonté légitime qui séduit naturellement les électeurs : la doctrine keynesienne ne fait plus seulement les beaux jours (et les Trente glorieuses) en Europe, mais elle s'appliquera aussi à l'Amérique latine. Relayé par des intellectuels qui mettent en évidence par des résonnements structuralistes les méfaits qu'ont engendrés les élans coloniaux et mercantilistes de l'Occident, l'heure de la "revanche" semble avoir sonné.
Pourtant, il n'en fut rien. Après avoir connu quelques réussites, on sera rapidement désabusé. En réalité, les politiques néolibérales qui se sont peu à peu répandues dans les pays riches dès les années 70 auront eu raison de ces espoirs. L'Amérique a été totalement à contre-courant en voulant protéger son économie alors que l'heure était à la doctrine du libre-échange. Dès lors, dans les années 80 et surtout 90, les crises vont se succéder. Assoiffer les pays.
Aujourd'hui, les gouvernements des pays d'Amérique latine semblent avoir accepté le néolibéralisme comme une fatalité. Ravagée par une dette extérieure dont ils ne peuvent pas même rembourser les intérêts et poussée à vendre des matières premières (à cause de cette dette) dont le coût ne cesse de baisser, les pays riches faisant jouer la concurrence avec des autres parties du globe, l'Amérique du Sud est dans une impasse. Faisant face à une impossibilité de mettre en oeuvre une industrie nationale (étant donné que le peuple n'a plus de pouvoir d'achat pour acheter ces produits), elle est contrainte à accepter son caractère de périphérie dans un monde globalisé dans lequel les inégalités entre les pays riches et pauvres ne cessent de s'accentuer. L'Amérique du Sud est résignée à produire des bananes à deux balles la tonne, qui ravagent (mais c'est une autre question) ses terres splendides.
Cet exemple montre donc bien les difficultés de changer son statut, lorsqu'on est un pays de la périphérie. Sans pouvoir face aux multinationales, l'économie de ces pays s'aligne souvent sur leur doctrine néolibérale pour ne pas ruiner leurs peu de ressources.
J'ai discuté l'autre jour avec un ami économiste convaincu que le libéralisme ne peut - s'il est appliqué de manière globale et homogène - que stimuler l'économie des pays "en voie de développement". Cette vision des choses est peut-être exact dans un univers idéal-typique d'économiste universitaire. Mais si l'on tient compte du retard que ces pays accuse par rapport aux Occidentaux - retard causé par NOUS, par notre colonisation cataclysmique ! -, on comprend que les chances pour ces états d'être gagnants dans la course néolibérale sont fortement compromises.
Notes : vous aurez remarqué que cette article est incomplet :
- il ne comporte pas les noms des acteurs; n'étant pas un grand spécialiste du cas de l'Amérique latine, je n'ai pas eu la motivation nécessaire pour chercher ses infos
- il fait volontairement l'impasse sur toutes les actions des USA dans ces pays; le but étant juste de montrer les problèmes structurels du développement des pays de la périphérie, j'ai omis ce plan très important de l'histoire américaine. Mais, il est clair que l'interventionisme odieux des USA dans ce continent est aussi une des preuves (s'il en fallait) des méfaits de l'impérialisme