Mourir au paradis Posté par lorna le 02/11/2005 00:00:56
"Bienvenue à Heaven's Estate, le Domaine du Paradis. Sur la côte ouest des Etats-Unis, derrière de hauts murs protégés par une armada de caméras de surveillance, de somptueuses demeures abritent de richissimes Américains. Leur obsession : vivre entre eux, à l'abri du monde extérieur et de ses dangers réels ou fantasmés. Mais un grain de sable va bousculer cet univers idéal. Une réunion entre jeunes organisée par un nostalgique du IIIe Reich va virer au cauchemar. Après, il ne restera plus qu'à faire porter le chapeau aux Mexicains du chantier voisin... Avec Mourir au paradis, Pierre Christin dresse le portrait d'une " gated city ", ces communautés fermées nées aux Etats-Unis. Le principe en est simple : construire des lotissements coupés de l'extérieur afin de vivre en vase clos, en limitant le plus possible les relations avec ceux qui ne nous ressemblent pas. Ce rejet de l'extérieur se double ici d'un racisme latent : à Heaven's Estate, tous les Mexicains s'appellent " Pancho ", quel que soit leur véritable patronyme. Ce paradis de pacotille qui n'est rien d'autre qu'un ghetto pour riches donne froid dans le dos. Surtout quand l'on sait que les " gated cities " commencent à se développer en France... " (Présentation Dargaud)
Christin, scénariste prolifique depuis les années 70, revient avec un récit d'autant plus effrayant qu'il est très réaliste. Avec "Mourir au paradis", il traite d'un sujet actuel et aborde à nouveau certains de ses thèmes de prédilection. Cet album porte une réflexion sur l'urbanisme, déjà commencée avec "La Ville qui n'existait pas", "Les voleurs de ville", etc. De plus, le récit relate un fait divers (forme à laquelle Christin a consacré une thèse) tragique aux Etats-Unis (pays qui exerce une sorte de fascination-répulsion sur l'auteur). Le scénario présente différentes facettes des Etats-Unis : la richesse / la pauvreté, le multiculturalisme / le racisme et la ségrégation. Il fait ressortir avec justesse toute l'ambivalence de cette prétendue communauté. D'ailleurs l'ironie veut que les résidents qui se sont réunis pour "être entre eux" ne se respectent pas.
La trame narrative est bien ficelée. On s'attend dès le début à la catastrophe dans ce paradis fermé, résidence d'un petit néo-nazi. Mais ce serait trop simple de la faire éclater tout de suite. Le scénario prend le temps de nous montrer que le personnage de Bart Cooley n'est pas le seul responsable, même s'il est certainement le plus abject. Tous les résidents qui ont choisi de s'enfermer à Heaven's Estate, par peur de l'extérieur, ont concouru au drame final. Le rythme du récit donne aussi le temps de s'énerver contre les autres jeunes qui réagissent plus que mollement à la mise en scène nazie montée par Bart. La tension est maîtrisée à la perfection dans cet album et quand elle arrive à son point culminant, l'ordre soit disant bien établi de la résidence vole en éclat.
Le dessin réaliste de Mounier participe à la crédibilité de l'histoire. Le dessinateur porte une grande attention aux détails qui constituent l'ambiance de cette résidence protégée. Le cadrage souvent resserré sur les personnages est très efficace. Alain Mounier fait ainsi preuve d'une grande maîtrise avec cette galerie de portraits.
Une BD qui s'ancre résolument dans notre monde actuel pour en dénoncer les dérives actuelles. Les auteurs poussent un cri d'alarme devant cette ségrégation qui sévit depuis trop longtemps et prospère aujourd'hui dans le silence. Et le problème ne concerne pas seulement les Etats-Unis...
Titre : Mourir au paradis
Auteurs : Pierre Christin - Alain Mounier
Editeur : Dargaud
Collection : Long Courrier