L'enfance est un royaume, malheur à ceux qui osent lui faire la guerre.
J'avais un royaume, et j'en étais le roi.
J'étais le roi et vous étiez des intrus, vous, les autres.
Mes nuits étaient peuplés de songes qui vous semblaient puériles, j'étais une île dans un océan de réalités absurdes, aux quelles je ne comprenait rien.
Il me fallu pourtant apprendre, apprendre à nager dans cette houle néfaste, dans votre monde, où je n'avais pas ma place.
J'appris. J'appris que vous étiez les Rois, j'appris à obéir à vos ordres. Réponds, dis bonjour, dis merci, finit ton assiette, et va ranger ta chambre. J'appris à être sage.
Mais jamais je ne grandi. Vous aviez le pouvoir sur mes actes, car vous étiez les plus forts, mais nul ne pouvait accéder à mes songes.
Alors je me construis un monde, un autre monde, que je pus travestir à ma guise. Là, en ces lieux de calme, moi seul décidait.
C'était mon royaume, et j'en étais le roi.
Je ne savais pas que tu allais entrer.
J'étais à l'abri des cris, de toute violence, les humiliations, de vos mots, de vos phrases, de vos gestes incohérents.
Je ne vous entendais pas, j'étais sourd à votre monde.
J'aurais voulu y rester toute ma vie, j'aurais voulu qu'il soit invincible, j'aurais voulu rester enfant, toute ma vie durant.
Tu n'avais pas ta place dans mon royaume, mais tu y es entré, et d'un geste interdit tu as tout brisé. Tout gaché, sans un regard pour ces choses magnifiques qu'il contenait, tu as tout piétiné, pour ton plaisir personnel. A présent tu es enfermé, mais les barreaux qui t'entourent sont magnifiques comparés aux miens. Le cliquetis des clefs du maton est une douce musique à tes oreilles comparé à tes mots qui se répettent à l'infini dans mon cerveau.
Les coups que tu prends sont des caresses, comparés aux gestes que tu eus, et que je sens encore.
J'avais un royaume, et j'en étais le roi, et toi tu lui as fait la guerre.
Tu as brisé mon royaume, qui étais tu pour y entrer ?
Je regarde par la fenêtre et je vois la pluie couler comme mes larmes et mon sang ont coulé ce jour là.
Je vois les arbres plier sous le vent comme j'ai plié sous ton poid.
J'essaie, oui je tente de revenir en arrière, retrouver mon royaume, retrouver ces lieux extraordinaires, ces songes d'avant, ces souvenirs, mais je ne suis plus roi, je ne suis pas même prince, je suis un apatride, je ne peux plus reigner.
Je ne suis plus rien qu'un corps, mon âme est resté enfermée dans une nuit sans lune, dans une nuit sans nom, et moi je nage, je nage mais je ne la retrouverais pas, je le sais.
J'avais un royaume, et j'en étais le roi
j'étais un roi, mais je ne savais pas
que tu étais là.
Mon royaume m'attend
mon royaume est mort.
Pourtant cette nuit, écoute
on l'entend encore. |