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Fight Club, Analyse Séquentielle d'un Film Post-Moderne 2e partie
Posté par warrior le 29/03/2010 00:00:01
Cette 2e partie débute au moment du chapitre 6, celui de la méditation collective, se poursuit avec les séquences de rencontres de Marla et Tyler, les voyages professionnelles du narrateur et s'achève sur l'explosion de l'appartement.


L'animal porteur de force

Lors d'une méditation collective, tout le monde est appelé à fermer les yeux et à aller dans une caverne pour chercher son animal porteur de force.
Le narrateur se dit toujours en osmose avec cet univers qu'il croit libérateur et on voit son amitié avec Bob qui continue à se nouer sur un tissu de mensonges.

Ce passage nous fait rentrer de plein pied dans le côté philosophique du film, le choix du symbole de la caverne n'étant sans doute pas hasardeux. Ce qu'essaye Jack c'est à nouveau à fuir ses responsabilités et à ne pas assumer ses névroses, chose que lui fera remarquer plus tard Tyler quand il répétera le même procédé pour fuir la douleur car le pingouin joyeux l'attendant au bout du chemin n'est qu'un leurre.
Autrement dit, sa vie est restée toujours aussi merdique et en parade on lui propose de la voir à travers un prisme déformant n'atteignant que le domaine mental puisque dans les actes il demeure toujours aussi improductif et instrumentalisé.

Là où on peut établir une passerelle avec la philosophie c'est qu'un des plus grands mythes de Platon (le mythe de la caverne) relève plus ou moins des mêmes enjeux que ceux posés dans cette séquence. En effet il s'agissait de l'évocation de la nécessité pour les philosophes (et par extension des hommes) de savoir aller et venir dans des cavernes, savoir en sortir pour voir la vérité qu'à à proposer ce monde, qu'en restant engouffré à l'intérieur on n'aura qu'une vision biaisée de la réalité et seulement des idées reçues sur ce qui nous entoure. La caverne peut être vu comme un cocon protecteur, un lieu où tout n'est que fantasmes et faux-semblants mais devenant pour ses occupants vérité générale puisque n'ayant aucun point de comparaison. Quant à Jack à proprement parler il souhaite à ce moment du récit croire encore qu'il s'épanouit dans ce lieu castrateur et poursuit donc son aliénation.


Marla

Après qu'il se soit aperçue qu'une autre, Marla, fréquentait les groupes de manière aussi détachée des problèmes que lui, Jack n'arrive plus à évacuer ses troubles. Il se focalise sur sa présence et ne fait plus fusion avec ce milieu caritatif qui lui donnait une illusion de bien-être. On le voit à nouveau incapable de dormir, végétant devant la télé. Après s'être auto-motivé pour parler à Marla, il l'enjoint de quitter les groupes pour qu'il puisse à nouveau "simuler" son drame. Entre ces deux passages, on assiste aussi au témoignage de Chloé, une mourante.

Dés qu'il repère Marla dans les réunions, l'espèce de sérénité triste du narrateur s'évapore pour laisser place à un stress glacial.
Lorsqu'il voit s'éloigner Marla en fumant, une quatrième image subliminale de Tyler s'y adjoint. Celui-ci, détendu, cigarette au bec, semble se moquer des solutions recherchées par Jack. Il apparait encore plus nettement que précédemment.
La relation du narrateur avec Marla, aussi diverse va-t-elle être, sera ce qui cimente sa vie "terre à terre", elle est le témoin privilégié de sa névrose, a une position d'observatrice réelle que nous spectateurs ne pouvons avoir au vu de la manière dont les événements nous sont relatés.

La scène à priori fantasmée dans l'esprit du narrateur où il engueule Marla s'est bien déroulée puisqu'elle dit "l'avoir vu s'entraîner" révélant qu'il ne fait plus la distinction entre ses actes et ses pensées. Par réflexe d'identification on a tendance à le soutenir face à cette femme qui bloque le croit-on son émancipation et son équilibre. Elle apparait cruelle et d'un cynisme absolu à l'attention des gens réellement mourants pourtant son attitude est moins hypocrite que celle de Jack, elle reconnait ne venir que pour ses petits intérêts personnels tandis que lui évoque un motif socio-philosophique "Quand les gens croient que vous allez mourir, ils vous écoutent vraiment". Elle a l'air de poser un regard lucide et critique sur ces organisations.

La scène du discours de Chloé, malade au stade ultime devenue rachitique, reflète les problèmes du statut de tels groupes de soutien : On offre une tribune dite libre aux malades pour qu'ils parlent de ce qu'ils ressentent mais dés que leurs propos dépassent les normes tolérés on les censure. Ainsi Chloé est mise de côté dés qu'elle évoque son désir d'avoir un dernier rapport sexuel avant de mourir. En cela, ces structures révèlent un fonctionnement aussi codifié que celui des organisations classiques. D'ailleurs, les malades sont encadrés et pris en charge par des gens ne l'étant pas, comme dans un hôpital.
Les "réactions" simultanées des participants (larmes, applaudissements) font au mieux penser à celles de militants à un meeting politique et au pire aux membres d'une secte.
Entre les deux, on peut y voir aussi le public conditionné d'un talk-show du type "ça se discute" (cf. Requiem for a dream qui traite en partie des dangers de ce conditionnement).

Pour en revenir à Marla, on comprend, suite à la séquence où ils décident avec Jack de se répartir les différentes associations pour ne plus être mis en relation, qu'elle a pris le parti de vivre en marge de la société et affronter les contraintes de ce choix. Elle se débrouille avec de petites combines comme vendre des vêtements (sans doute volés), trouver le moyen de manger gratuitement et par-dessus tout sans accorder d'importance suprême à la vie ainsi n'est-elle pas paralysée par des attaches économico-sociales. Sa négligence d'elle-même au milieu des voitures défilant en atteste ("Sa philosophie de la vie c'est qu'elle pouvait mourir à tout instant, le tragique disait-elle, c'est que ça n'arrive pas".


Tout à usage unique

Véritable scène de transition entre la rencontre de Marla et celle, de manière officielle pour nous public, de Tyler. On voit le narrateur ballotté d'avions en avions dans le cadre de son travail. Il étudie les capacités au niveau sécurité des modèles de voiture de son usine. On le voit sur les lieux d'un accident avec ses collègues et autres experts puis conversant avec sa voisine de vol à qui il explique à quoi se résume précisément sa tâche. Dans un état de demi-conscience il lui arrive aussi de rêver à un crash spectaculaire.

Plusieurs choses sont à relever dans ce chapitre, notamment l'acceptation sous-jacente par le narrateur de son pendant extrême : Tyler Durden. Tandis qu'il est trimbalé sur un escalator et s'interroge "Si on se réveillait à une heure différente, dans un endroit différent, pourrait-on se réveiller dans la peau d'une personne différente ?", on distingue Tyler l'air de rien sur l'escalator d'en face, cette fois-ci sans effet subliminal, la première fois depuis que le film est rentré dans sa structure chronologique. Les propos de Jack rappellent inexorablement les faits auxquels il faisait référence au sujet de ses propres insomnies. En fait d'une apparente interrogation générale il se demande s'il pourrait devenir un autre du jour au lendemain.
Suite à cela, le narrateur déploie un discours sur le caractère éphémère de la vie et des relations superficielles qui en découlent, les "amis à usage unique" comme il dit.
Cette analyse préfigure un propos qui aurait pu être celui de Tyler, sauf qu'il est exprimé de manière moins virulente et pas militante pour un sou. Ici, ce n'est que de manière sous-entendue que Jack dénonce ce mode de vie vite consommé-vite jeté, c'est sa face fantomatique devant son plateau-repas et les échantillons offerts par l'hôtel qui se charge de nous convaincre qu'il n'approuve pas ce speed-dating permanent.

Sur l'écran vidéo faisant la promotion de l'hôtel où il réside, on peut une nouvelle fois noter la présence de Tyler, en tenue de serveur parmi les autres salariés, il se situe tout à droite et souhaite comme tous la "bienvenue" aux gens y faisant une halte.

Le passage où Jack analyse les causes de l'accident de voiture est particulièrement chargé contre la société du roi-argent. On y voit les enquêteurs essayant de reconstituer la chronologie du drame qui font preuve d'humour noir et d'aucune considération pour les pertes humaines. Cependant, le plus éloquent reste la formule appliquée pour savoir s'il est nécessaire de modifier les caractéristiques de sécurité de la voiture, Jack l'énonce sous la forme glaciale d'un énoncé mathématique : "Soit A le nombre de véhicules en circulation avec ce modèle de rappel, le multiplier par le taux probable de défaillance B puis multiplier le résultat par la moyenne des sommes qu'on a été condamnés à verser C. AxBxC = X. Si cet X est inférieur au coût d'un rappel on ne fait rien". Ainsi se fait le calcul rationnel d'une société tournée uniquement vers la recherche de bénéfices. Puisqu'une pièce, même s'il est démontré qu'elle n'est pas fiable, peut rapporter plus que ce qu'elle ne coûte, il faut continuer de la produire au mépris des vies humaines qu'elle détruira. Celles-ci n'étant après tout que des dégâts collatéraux puisqu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs n'est-il pas ? Tout consommateur un peu moins suiveur qu'un autre aura d'ailleurs remarqué au cours de ces dernières décennies la mise sur le marché de voitures dont la date de décès est déjà prévue au moment de sa fabrication, le mythe de la voiture familiale qu'un père refilait à son fils a vécu.
Dans un tout autre registre marketing, les magazines people appliquent la même analyse : Ils ne cessent d'être condamnés pour leurs papiers extorqués et diffamatoires mais puisque le chiffre de vente est supérieur aux sommes dues suite aux procès perdus on maintient la méthode. Autrement dit, de même qu'il appartient aux gens de boycotter ces magazines, il leur appartient d'être exigeants en ce qui concerne leur sécurité quand ils choisissent une voiture ou tout simplement de refuser ce produit de consommation et le mode de vie qui va avec et tend à nous être imposé.
A ce sujet, Chuck Palahniuk dit croire à un libre-arbitre possible et à un rejet de ce dont la société nous abreuve : "J'espérais que le livre ferait comprendre aux gens qu'ils peuvent créer leur propre vie en dehors de l'image du bonheur offerte par la société".

Les dernières secondes du chapitre voient Jack, dans un état amorphe, imaginant l'avion en péril et l'affolement général des passagers qui en découlerait. Il est définitivement écœuré par son métier et sa routine et tel Marla attend un miracle pour le sortir de sa léthargie. Il viendra sous la forme de Tyler Durden.


Tyler

Un jour, le narrateur ouvre les yeux au milieu d'un de ses innombrables voyage et découvre à côté de lui un passager des plus intéressants, Tyler Durden. Comme de coutume, il le considère comme un "ami à usage unique" mais rompt légèrement avec ses habitudes en prenant ses coordonnées, au cas où.

Pour la première fois Jack établit un dialogue de façon moins convenu et superflu qu'auparavant, il a enfin face à lui un individu moins rationnel que les autres, qui va lui tenir un discours inattendu et original.
En évoquant l'usage du masque à oxygène, Tyler critique le conditionnement à obéir des gens, le côté bête et discipliné de la chose. C'est-à-dire qu'ils adoptent des comportements sans en avoir interrogé la pertinence.
Avant d'en venir à sa profession, Tyler fustige l'hypocrisie d'une telle situation, le fait de recueillir des informations les uns sur les autres alors que seul le hasard nous a rapprochés et qu'à priori on les oubliera aussi vite qu'elles nous auront été transmises. Toujours est-il qu'il finit par lui ouvrir sa mallette remplie de savon et lui refile une carte de visite. Au vu de la suite le fait qu'il lui parle d'entrée de la possibilité de fabriquer des explosifs à force de mélanges est une anticipation sur ses réelles intentions.

Le fait que les deux aient le même attaché-case n'est bien sûr pas anodin et c'est un indice de plus qui nous est offert sur le caractère abstrait et interne de cette rencontre. D'ailleurs c'est plutôt cocasse qu'un vendeur de savons ait le même attaché-case qu'un ingénieur cadre.
Tyler suggère son opposition aux grandes industries quand il explique qu'on peut obtenir du napalm grâce à de simples outils ménagers. Quant Jack explique son concept du "tout à usage unique", Tyler trouve cela "astucieux" mais ne peut s'empêcher d'interroger sur ce que cette qualité lui apportait, ce à quoi Jack ne rétorque qu'une chose générale et embarrassée. L'enjeu caché de la question de Tyler tend à faire prendre conscience à Jack qu'il avait un potentiel qu'il n'exploitait pas ainsi son côté "astucieux" n'est pas considéré par cette société qui ne lui offre qu'un job banal destiné à le fondre dans la masse. D'où la présence de l'idée de la nécessité de prendre un chemin détourné pour pouvoir s'épanouir.

A partir de là, le but de Tyler sera de détruire tout ce qui rattache son alter-ego à son ancienne vie. L'incident de l'aéroport quand Jack ne retrouve plus son sac parmi les bagages défilant sur le tapis confirme les affirmations de Tyler sur le caractère bête et discipliné des individus. Ainsi on aurait appliqué le règlement à la lettre et son sac aurait pu contenir une bombe donc il a été mis de côté. La nonchalance du salarié de l'aéroport au comptoir quand il évoque "les balanceurs" démontre le peu d'attrait et de respect qu'il a pour le travail de ses collègues autant que pour le sien. Mais cette explication est seulement la version officielle car au vu du reste, il est permis de penser que c'est Tyler lui-même qui a fait disparaitre ce sac contenant des vêtements de grandes marques et autres objets de commodité. Le narrateur demeure très terre à terre dans sa conception de l'existence et se résout faiblement à cette nouvelle.

Quant il finit par jeter un œil dehors, il voit Tyler embarquant à bord d'une superbe voiture, vision qui s'avèrera infondée au vu du rejet par ce personnage de ce moyen de transport. Cette apparition s'explique donc par le lieu commun des sociétés modernes qui présentent la voiture comme indispensable à toute vie heureuse et complète, l'isolement relatif de la ville de tout bon aéroport abondant dans le sens de la nécessaire voiture. D'un point de vue plus matériel, on peut remarquer que l'entrée dans cette voiture par Tyler s'apparente tout simplement à un vol car on perçoit un homme réagir brusquement suite au départ de la voiture, tentant de courir après.
Cette deuxième hypothèse démontre que l'esprit de Jack est encore très largement encombré de rationalité et son glissement de mentalité vers les préceptes de Tyler n'est entré que dans sa phase un.


Les merdes de jack partent en fumée

Depuis le taxi qui le ramène chez lui, Jack entend des sirènes et perçoit une grande agitation.
Sa crainte trouve confirmation dés qu'il descend aux abords du bâtiment où il vit : son appartement a été entièrement dévasté par les flammes. N'ayant peu de choix quant aux personnes à appeler, il envisage d'abord de joindre Marla mais rentre finalement en contact avec Tyler.

La première partie de cette séquence vaut pour la mise en scène du scénario improbable de la veilleuse détraquée. On nous propose un dérivé de flash-back puisqu'il s'agit de "ce qui a pu arriver", c'est donc une mini-narration retirée du contexte comme le sera le passage sur les petits boulots de Tyler. On passe à une vitesse hallucinante d'une caméra littéralement embarquée sur la cuisinière à une représentation de l'ensemble de la pièce, un plan serré au ras du sol dans un premier temps qui va progressivement s'étendre, symbolisant la diffusion du gaz à l'ensemble de la cuisine.

Ensuite, le procédé est inversé avec un plan derrière le frigo qui évoque une nouvelle fois une descente d'ascenseur comme dans le générique de début. Enfin, l'explosion est montrée avec sobriété dans son déclenchement, seulement une grosse bouffée de flammes au même instant où le narrateur compose le numéro de Marla depuis une cabine téléphonique, venant rappeler qu'on ne se trouve pas dans un film à grand spectacle.

Scénaristiquement, cette scène est décisive car c'est ici qu'intervient le choix du personnage quant au chemin qu'il veut donner à son futur, il enclenche un processus de non-retour. Alors que Marla est en ligne, il ne parle pas et finit par raccrocher. Il ne s'explique pas son geste de rejet de Marla en faveur de Tyler, il dit "Si vous me le demandiez, je ne saurais pas vous dire pourquoi c'est lui que j'ai appelé" pourtant son action apparaitra comme limpide par rapport au projet de vie auquel il se destine, il ne peut faire le choix de la rationalité.
En s'installant chez Marla, il aurait sans doute eu un abri décent, un peu de compassion, du sexe et qui sait de l'amour et tout cela au quotidien, il serait dans ce cas de figure contraint par trop de facteurs pour avoir la force de transformer sa vie de fond en comble. Tout aussi marginale qu'elle soit, Marla répond à un certain formatage pris en compte par la société (qui crée même ses opposants pour mieux les contrôler), elle aurait fait un contrepoids idéal pour empêcher Jack de basculer dans sa face extrême donc aurait bloqué sa créativité. En la repoussant d'office, il fait le choix d'être par rapport à elle "Dr Jeckyll et mister connard" comme elle le nommera elle-même plus tard.
Il rentre donc en liaison avec Tyler et il faut remarquer d'emblée que le fait que ce dernier ne réponde pas directement à son appel en dit long sur la nature de leur relation. C'est ensuite Tyler qui s'empresse de faire sonner le combiné de la cabine et prend donc les choses en mains comme ce sera toujours Tyler qui dictera les consignes. On retrouve encore là l'incapacité de Jack à prendre des initiatives ou dans le cas présent à les concrétiser. C'est le reflet du début d'abandon de son soi (du "moi" Freudien) en faveur du "ça", son inconscient dans lequel il se plonge sans méfiance. C'est un Tyler détaché, en train de s'empiffrer de chips ou apéritifs de ce genre, qui prend le contrôle de la conversation et on peut supposer que c'est aussi lui qui fixera le point de rendez-vous où ils se retrouveront.
Face à lui Jack est en position d'attente, il est décontenancé par le côté relax de son interlocuteur et se place dans une position de faiblesse. C'est une première évocation de domination mentale qui pointe au détour du coup de fil, elle sera très présente par la suite et atteindra son paroxysme au moment de la brûlure chimique.

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