Il vient de Jönköping, la ville de I'm from Barcelona et des Cardigans, cité qui représente selon lui "la Suède dans ce qu'elle a de plus moyen, timide et ennuyeux". C'est au creux d'une Scandinavie plus aristocratique que l'on peut rencontrer Emil Svanängen, alias Loney Dear. L'affable blondinet aime recevoir au dernier étage du Centre culturel suédois, élégante bâtisse parisienne sise en plein Marais. Il s'y meut comme chez lui, un sandwich au saumon dans une main, sa guitare dans l'autre. Le voici ouvrant les fenêtres pour roucouler ses chansons à la cour ébaudie : le voilà parcourant l'ample salon d'est en ouest, jaugeant meubles, livres, tableaux : "Cette pièce respire la Suède des riches amis du roi, celle, un peu irritante, qui ne fait pas ses courses chez Ikea". C'est peut-être un détail pour vous, mais pour lui ça veut dire beaucoup : Emil est particulièrement attentif à tout ce qui touche à l'architecture, à l'agencement des choses. Ses pop songs, il les bâtit comme des mini-cathédrales, empilement de lignes mélodiques gracieuses, d'ossatures rythmiques solides, de lyrics en trompe-l'oeil et d'ornements épars (clochettes, choeurs, cuivres) : "Pour Dear John, je suis nourri de quatre influences distinctes : les beats et les synthés de Kraftwerk; le jazz de John Coltrane, son approche spirituelle de la matière musicale; l'écriture très mélodique de Bach ou Brian Wilson; et enfin l'onirisme d'un Michel Gondry, que j'ai essayé d'insuffler à mes paroles. "
C'est la première fois qu'il accorde tant d'importance aux mots que chante sa voix limpide : "J'ai eu une sorte de crise d'adolescence tardive, durant laquelle j'ai senti le besoin d'évoquer des choses sombres, sans perdre l'expressivité joyeuse et amicale qui, dit-on, me caractérise. Un morceau est plus pénétrant lorsqu'il mêle des émotions contradictoires... Il en devient étrange, presque dangereux. " Une "Dear John Letter" est, en anglais, une lettre de rupture, mais Emil voit dans le titre de son disque tout le contraire : un aveu de fidélité à John, le personnage fictif qu'il s'était inventé avant que "sa carrière n'explose, en plein enregistrement de l'album". Réalisé "sous pression", "Dear John", son album, a été conçu dans l'idée "de développer le son, la production et le songwriting des quatre albums précédents". De fait, "Airport Surroundings", la chanson d'ouverture, reprend les choses là où "The City, The Airport", sur l'album "Sologne" (2005), les avait laissées : Loney Dear ne dessine plus des maquettes d'aéroports, il pilote les bolides qui s'envolent, altiers, de leur tarmac - loin, très loin de Jönköping et des amis du roi.
A découvrir, donc. |