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La Frontière invisible |
Le monde des Cités obscures se laisse une nouvelle fois entrevoir... |
"Roland est un jeune fonctionnaire du Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie, un lieu d'où on ne sort pas. Très vite, il comprend que cette administration sert les visées expansionnistes du pouvoir. Mais bientôt, la peur s'installe au Centre. Des bruits courent, on parle d'attentats, d'archives détruites, d'assassinats, de guerre, de rébellion matée dans le sang... Shkodra, la jeune femme dont Roland est tombé amoureux, semble par ailleurs intéresser au plus haut point les autorités, de plus en plus menaçantes. Tous deux prennent la fuite à travers déserts, montagnes et marais... Traqués, ils n'auront qu'une chance de s'en sortir : franchir la frontière." (présentation Casterman) Une nouvelle porte d'entrée dans le monde des Cités obscures nous est offerte pas Schuiten et Peeters, avec ce deuxième volet de La Frontière Invisible (le premier était sorti en 2002). Dès la première planche, nous retrouvons le jeune Roland Cremer, qui revient (comme le lecteur) d'une longue absence loin du centre. L'entrée en matière des auteurs est ingénieuse, puisque, comme le héros, le lecteur a trouvé l'attente "interminable" entre les deux albums et a du mal à reconnaître le centre parmi ses souvenirs du premier album (à moins qu'il ne l'ait relu avant de se plonger dans le deuxième tome). L'identification au personnage est assez immédiate. Avec La frontière invisible, les auteurs nous emmènent dans une partie du monde des Cités obscures encore peu explorées, même si la Sodrovno-Voldachie a déjà été évoquée dans le Guide des cités. Cet album nous donne l'occasion d'approfondir notre exploration de cet univers parallèle au notre, mis au grand jour par Schuiten et Peeters en 1983 avec Les Murailles de Samaris. Depuis une vingtaine d'années, ils ont mis à jour les différentes liaisons et passerelles entre les différentes cités du monde obscur mais aussi entre ce monde parallèle et notre propre terre. L'incroyable cohérence de la série des Cités obscures apparaît encore une fois dans le deuxième tome de La Frontière invisible avec une allusion à la cité de Mylos (ville de Mary Von Rathen) ou à un personnage célèbre de la série Axel Wappendorf et ses inventions incroyables. Si les auteurs semblent peut-être coincé dans leur monde, du moins en bande dessinée (car les auteurs ont plusieurs cordes à leur arc), ils le développent avec un tel talent que, pour beaucoup de lecteurs, le monde des Cités obscures est presque devenue une réalité tangible. La Frontière invisible s'inscrit bien aussi dans les interrogations obsessionnelles des auteurs : interrogation sur la place de l'homme dans une société ou sur l'absurde qui découle d'un fonctionnement. Pour le scénariste, "l'idée est de montrer comment la cartographie, cette histoire des frontières et des conflits frontaliers peu parfois dépasser le débat de spécialistes." (Interview de Benoït Peeters, dans Canal BD Magazine n°23). Ce thème de la cartographie et de la frénésie expansionniste trouve malheureusement des résonances très contemporaines avec les événements en Ex-Yougoslavie, et même encore plus récemment au Moyen-Orient. Mais les auteurs ne font aucune référence précise. Si on sent l'impact de l'actualité, celle-ci est prise avec distance et sans critique directe. Les Cités obscures pointent les disfonctionnement de la société et des systèmes en général. Ainsi, La Frontière invisible nous montre le décalage entre le travail intellectuel des cartographes, reclus dans leur centre et complètement coupés de la réalité, alors qu'ils sont sensés s'en occuper et la représenter avec exactitude. D'ailleurs, quand Roland et Shkodra s'enfuient du Centre, la composition de la planche semble s'aérer, comme pour nous signifier la sortie d'un espace confiné et la promenade dans un espace plus libre (ce qui est peut-être qu'une illusion). Dans les pages 52 à 55 ou encore 70 à 71, presque toutes les planches sont constituées de trois bandes prenant toute la largeur pour donner une impression d'étendue. L'avant dernière planche n'a plus que deux grandes cases, et l'album se termine sur une case pleine page. Si le héros a réussi à se dégager de l'atmosphère oppressante du centre, ce nouvel espace marque aussi son errance et sa perte de repères. L'autre thème abordé est la perte des illusions du jeune héros, qui est à la fois confronté à son premier travail, à son premier amour, à sa première opposition à l'ordre. Tout aboutit à un échec à la fin, quand il prend conscience qu'il est pris dans quelque chose qui le dépasse et que le monde est bien plus complexe qu'il le pensait. Un certain pessimisme se dégage de cette BD. Si les autres héros des Cités obscures se confrontaient toujours à l'absurdité du monde, l'amour constituait une échappatoire. Or Roland, lui-même à la fin de l'histoire, met en doute la profondeur de ses sentiments pour celle qui l'a tant attiré. On ne parvient à savoir s'il aime vraiment Shkodra ou bien sa tache. Comme toujours, Schuiten et Peeters se refusent à donner une fin claire et précise où tout serait élucider. La fin est encore assez ouverte et laisse le lecteur avec pleins d'interrogations et de réflexions. Ce parti pris a un côté frustrant pour le lecteur, et en même temps nous permet de prolonger l'imaginaire des Cités obscures dans notre tête. D'ailleurs pour parcourir toujours un peu plus cet univers, une carte physique du monde des Cités obscure et de la Sodrovno-Voldachie vous est offert avec l'album. Série : Les Cités obscures Titre : La Frontière invisible, tome 2 Auteurs : Schuiten et Peeters Editeur : Casterman |
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