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C'était un monde |
C'était un jour moins noir, plus gris, mais moins noir... |
On aurait pu croire que la journée serait mouvementée, on pourrait penser que tout serait moins fade. Je ne savais l'expliquer, mais ce matin à mon réveil, je n'avais pas autant une humeur maussade qu'à l'habitude. Ça semble peut-être banal mais pour moi ça en est presque un miracle. Je me morfonds jour après jour dans ma solitude. Je rumine mes idées noires en crachant sur tous ceux qui passent parce qu'au fond, c'est moi la victime. Victime de ce monde où je suis enchaînée à un corps médiocre et si malhabile. Parfois j'ai envie d'éclater de rire tellement je me trouve pitoyable, mais le plus souvent, je meurs de honte. Mais bien sur dans tous ça, je dois tout cacher. S'ils savaient ce qui se passe dans ma tête... Si mes secrets étaient découverts... Alors là, "ahah", bonjour la ridiculisation. Mais je ne crains pas, mes pensées sont bien gardées. J'aime alimenter mon mystère et mon silence. Ah mais je sais bien ce qu'ils pensent de moi quand ils me voient. Ceux-là, ils ne comprennent pas, ils voient en moi celle que je ne suis pas. Et je m'en fiche ! De toute façon c'est ce que je veux. Être invisible. Être ailleurs. Être quelqu'un d'autre... Ce matin donc, le noir dans ma tête avait laissé ça place pour un ton de gris. Quelle importance me direz-vous ? Oui c'est vrai, c'est pas avec ça que je risque d'être joyeuse et bienveillante envers mon prochain, mais c'est un pas, un petit pas, non ? Comme j'en ai marre... Déjà 7h15. Je dois encore courir pour terminer mon sac et courir à ce foutu arrêt de bus pour aller dans une prison où l'on m'apprend uniquement à détester encore plus la société qui m'entoure. Comme elle est belle la vie ! *** Le chauffeur m'a encore fait son clin d'œil. Quel crétin celui-là... Si je ne me retenais pas, je lui renverrais une de ces droite et son œil il pourrait se le garder après ! Mais je ne peux pas, sinon il comprendrait... Et tous ceux qui m'auraient vu aussi. Comme c'est injuste... Évidement, il y a un vieux moustachu assis à mon siège. Comme je voudrais lui sauter dessus en m'agrippant à son cou gras de porcelet et le secouer violement pour qu'il comprenne que c'est un endroit Ré-Ser-Vé ! Grrr... Et par-dessus tout je hais cet endroit. C'est petit, puant, remplis de gens débiles dévisageant tous ce qu'ils peuvent, un vrai cauchemar. Comble de mon exaspération, les deux idiotes du village qui restent debout à côté de moi alors que l'autobus est pratiquement vide... Ce qui, bien sur, bloque complètement la sortie. Je me renfrogne un peu plus. Je suis sure qu'il n'y a qu'à moi que ça arrive ce genre de chose. J'aime bien râler, ça me défoule. C'est d'ailleurs le seul luxe que je puis me permettre. Ah miséricorde, 20 minutes avant d'arriver à l'école et les deux vieilles chipies n'ont toujours pas bougé. Je suis supposée faire quoi en attendant ? Écouter leur radotage ? C'est génial... J'ai appris que mémé au bonnet rose a un kyste sur un ovaire et que mamy aux cheveux blanc mal frisés a passé dernièrement 3 jours à l'hôpital pour des brûlures d'estomac. J'attends avec impatience qu'elles parlent de la météo... Je n'ai pas pu savoir s'il faisait beau ce matin au Chili, je suis sure qu'elles pourraient me l'apprendre. Ce genre de vieilles bonnes femmes ont de ces manies étranges parfois. L'une va tricoter 3 paires de pantoufle par jour pendant que l'autre fera 40 tartes tandis qu'une autre pourrait connaître l'horaire de toutes les chaînes de télé sur le bout des doigts. Je trouve ça trop pathétique. Sans compter la joie que ces personnes se font à donner les coupons rabais au supermarché. Je vous en prie tout mais pas ça. Si un jour je deviens comme ça qu'on m'enferme plutôt que je me ridiculise ainsi, je crois que je ne m'en remettrais pas. Enfin, le prochain arrêt c'est le mien. Vaut mieux qu'elles se poussent de là, sinon c'est moi qui les pousse ! J'ai honte de mon jeu de mot foireux. Je réussis à me faufiler tant bien que mal entre elles pour sortir... Et... Elles osent rouspéter que je les dérange. Une fois à l'extérieur je prendre une grande respiration. Qu'est-ce que ça fait du bien ! Je me retourne vers le bus pour me moquer des folles avant qu'elles s'éloignent, mais pas assez rapidement... Pour l'éviter... La brume est dense dans mes yeux, pourtant le ciel est dégagé. Je vois de la neige alors que l'automne arrive à peine. Je tremble de froid alors que l'air tiède me lèche le visage. Je commence à suffoquer alors que le vent souffle à toute allure sur la grande rue... Et dans ma tête. Je m'effondre au sol, une douleur atroce à l'abdomen. Je n'ai ni le temps de pleurer, ni de crier, ni même de haïr. Je n'ai plus de temps, mon horloge vient de s'arrêter alors qu'autour de mon corps inerte des dizaines de personnes effrayées, curieuses, peinées se regroupent. Mes yeux toujours ouverts ne montrent plus aucune image à mon cerveau inconscient. Le bus n'aura pas redémarré cette journée là. Dans la sortie, la vieille femme y est toujours, hystérique, retenue par deux bras bien bâtis, son arme reposant à ses pieds... L'autre ? Disparue... Sans laisser de traces. Je ne comprendrai jamais... Je n'étais pas si malheureuse... Aujourd'hui... La vie... C'est la vie... Et c'est dommage que ce soit ainsi. Ma vie... S'est terminée ainsi... Et c'est dommage aussi. |
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