Ce que tu n'as pas compris

A nos débuts, ton visage rayonnait quand j'arrivais, tes yeux brillaient quand tu me regardais, tu frissonnais quand je t'effleurais, tu buvais mes paroles quand je te parlais. Tu t'émerveillais de chacun de mes gestes, de chacune de mes phrases. J'étais flattée de tant d'attention. Alors je suis devenue ta Princesse... Moi, la petite fourmi, moi, l'anonyme dans la foule, moi, la fille "qui ne sert à rien", j'existais pour quelqu'un. Dans ton regard, par ton regard, je vivais. Et quand je te disais que je ne comprenais pas pourquoi tu m'aimais moi, tu répondais "comment ne pourrait-on pas t'aimer, toi ?". Tu me mettais sur un piédestal, j'appréciais ma place et me délectais de tes compliments. Lorsque je t'ai mentionné ma commune, tu as tout de suite cherché sur une carte où elle se trouvait et peut-être même as-tu compté les kilomètres qui nous séparaient. Lorsque je t'ai parlé de mon goût prononcé pour le chocolat, tu m'as fait expédier les meilleures tablettes. Lorsque je t'ai montré cette lithographie de Toulouse Lautrec qui me plaisait, tu me l'as tout de suite achetée. Tu voulais tellement me voir heureuse, tu voulais tellement me correspondre que tu en oubliais ta vraie nature...
Quand je t'ai mangé enfin dans la main, tu as cessé du jour au lendemain toutes ses petites attentions qui m'avaient tant attirées vers toi.
Un jour tu m'as demandé ma vision de l'amour. Je t'ai dis que si tu voulais la connaître tu devrais lire "La Nuit des Temps" de Barjavel. Tu m'as raillée et tu m'as dis de faire la part entre la science-fiction et la réalité.
Et nous nous sommes séparés...

Après des années, nous nous sommes un jour croisé, un peu gênés. Comment avions-nous pu devenir à ce point des inconnus ? Nous avons pris un café, discutant de la pluie et du beau temps, surtout de la pluie et un peu du beau temps. Au moment de nous quitter, tu m'as regardé et tu as jeté "Je n'ai jamais lu La Nuit des Temps. Aujourd'hui que nous ne sommes plus ensemble, dis moi ce qui était si important pour toi et que tu tenais tant à me faire savoir. _ Ce n'est pas tant la contenance du récit, ai-je répondu, si tu avais lu mon livre préféré, si tu en étais venu à bout, alors j'aurais su que tu m'aimais. C'est ça pour moi l'amour, donner un peu de soi pour faire plaisir à l'autre".