Extrait du site https://www.france-jeunes.net |
Dialogue de sourds à la vue troublée |
Dialogue interprétable selon le bon plaisir et le point de vue. |
– Que vois-tu ? – Un trou. – C'est tout ? – Non. – Quoi d'autre ? – De l'obscurité. – Tu es sûr ? – Oui. Ca se voit, non ? Tu ne le vois pas ? – Peu importe ce que je vois ou non, ce qui m'intéresse c'est ce que toi tu vois. – Eh ben tu sais maintenant. – Tu ne voudrais pas m'en dire plus sur ce trou obscur ? – Arrête de parler comme s'il n'était pas là. Tu le vois le trou oui ou non ? – Oui oui. Et comment est-il ? – Ben, sombre. Mais... – Oui, je vois, ne t'inquiète pas. Tu ne distingue rien d'autre que ces deux éléments ? Trou et obscurité ? – Ben... – Regarde bien. – Maintenant que tu le dis... – Oui ? – Y'a comme du mouvement dans l'obscurité. – Intéressant. Continue. – Ben ça bouge, quoi, que veux-tu que je te dise de plus ? – Tu ne saurais pas me décrire la nature de ce mouvement ? – Ben regarde. – J'ai oublié mes lunettes. – Ah d'accord... – Oui. – Ben... Ca flotte. – Comment ça ? – Ben ça fait comme des taches moins sombres qui glissent dans le champ de vision. – Rapidement ? – Non. Plutôt lentement, et même avec une certaine classe, en fait. – Et ça te fait penser à ? – Boh, je sais pas, à la mer. A des bateaux sur la mer. – Le voyage, hein ? – Ben, je sais pas. On s'en fout de ça. – Oui oui. Qu'est-ce qui te fait penser aux bateaux et à la mer ? – Des taches voilées, donc des bateaux. – Jolie métaphore. – Ben je vois que ça. – Certainement. Et que dirais-tu si on s'approchait du trou ? – Euh... Je vois pas trop l'intérêt. Et puis c'est malsain ce truc-là. – Tiens donc... Pourquoi ? – Je sais pas. On sait pas ce qui se passe là-dedans. – Et ça pourrait être mauvais ? – Peut-être. C'est ça, le blême, c'est qu'on sait pas. – Oui c'est bien là le fond du problème. Donc tu ne préfères autant pas que l'on s'approche ? – Hé mais oh, si tu y tiens on le fait. C'est pas comme si j'avais une frousse bleu, hein. – Non, sans doute que non. – Tu sais que t'es lourd ? – Pourquoi ? – Tu veux pas causer normalement, des fois ? – Saisissant... Et qu'est-ce qui t'effraie dans mon discours ? – Oh oh, temps mort, y'a rien qui m'effraie. Tout de suite les grands mots. Tu m'emmerdes à causer du trou noir sans jamais le regarder. Regarde-le deux minutes. Tu me feras pas croire que ta vue est trop mauvaise pour faire la différence entre un trou noir et un bain de soleil. – Moui. – Alors ? – Oui je le vois le trou. – Et ? – Et c'est vrai que ça bouge un peu. – Donc on peut tout autant se casser, ça n'a aucun intérêt. – Pas de risque, donc ? – Et toi t'en dis quoi, au juste ? Tu veux aller voir ? – Moi je ne sais pas. – Donc à part causer des autres, tu sais rien faire, en gros ? – Si si, bien sûr. – Ah ouais. Prouve-le. – Je peux te parler, par exemple, du rapport entre les structures mentales et les structures sociétaires de base. – T'as vraiment un problème, toi, hein ? – Nous avons tous un problème. – Ouais ben là mon problème c'est toi. J'me casse, salut, reviens quand t'auras quelque chose à raconter. |
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