| Clara...La nouvelle de Clara, revue, corrigée et terminée. Aux amateurs...Six heures du matin, le ciel est clair presque transparent, aucun nuage en vue, juste un rayon de soleil et la douce brise de ce vent de printemps, un ciel paradisiaque qui contraste avec la vie d'ici, celle de l'intérieur, de l'ombre...
Une porte s'ouvre sur Hay boulevard, un léger sifflement, un faible crépitement se laisse percevoir, une flamme qui danse sous une cuillère de métal sur laquelle sont apposées les marques de précédentes utilisations : ce dépôt noirâtre si propre aux ustensiles des camés, cette teinte due aux nombreux chauffages que la cuillère a subit pour permettre à son propriétaire de purifier sa dose. Au bout du manche, une main tremblante mais experte, une main qui connaît les moindres gestes, qui répète ceux-ci comme à son habitude, qui exécute sans broncher mais avec une certaine impatience les cinq étapes quotidiennes : la cuillère, la dope, le jus de citron, la flamme et puis le moment crucial : la seringue et le ticket gagnant pour un petit tour au paradis, un paradis si loin quand on y pense mais si près quand on y est de l'enfer de ce squat, de son odeur puantesque, de ce trou où s'enterrent camés, prostituées et autres malchanceux. Ici jamais de gros dealers, juste des mecs en manque qui veillent sur leur dope comme on n'a jamais veillé, ils n'ont que ça, il s'agit de leurs uniques biens, ils l'ont gagné en risquant tout, en perdant même parfois leur dignité si seulement ils leurs en restés, ils l'ont eut grâce à cette nana agressée dans l'escalier, grâce à leurs points ou tout simplement grâce à leur cul. Le squat de Hay boulevard ce n'est pas n'importe quel squat, ici on fait sa place, on entre avec recommandation d'une tierce personne et pourtant ce n'est qu'une cave, une simple cave aux murs complètements pourris qui s'effritent aux moindres chocs, un trou en pleine cité où les descentes sont fréquentes, où l'odeur de cannabis a laissé place à celle de l'héroïne, où la vie n'en est pas une. Combien de personnes habitent ici ? On ne peut pas les compter, entre ceux qui arrivent, ceux qui ne rentrent qu'un soir sur deux et ceux qui resteront à jamais dans l'endroit macabre où ils prirent leur dernier shoot et l'aller simple pour le bad trip, la population de Hay est changeante. Il y a toujours du monde, toujours quelqu'un allongé dans un des coins de la pièce, à même le sol, la tête contre le béton noirci et craquelé par les diverses sources de chaleur nécessaires aux consommateurs de H.
Et cette flamme qui danse, qui tournoie sous le métal, cette main qui devient de plus en plus pressée, cette jeune femme qui la tient fermement, son sourire angélique, ses cheveux d'un blond délicat... Une porte s'ouvre précipitamment, un jeune homme, aux cheveux d'un brun peu commun, au visage ténébreux et aux yeux d'un vert émeraude sort de son encadrement :
- "Clara grouille merde, v'là les flics ! "
La cuillère tombe en un choc sonore sur le sol froid, le mélange se répand en une petite flaque jusque dans un des coins du mur laissant dans son sillage la précieuse poudre blanche. La flamme s'éteint dans un dernier soupir. Le crépitement ne se fait plus entendre.
Et la course commence, une course interminable dans les couloirs souterrains du squat étroits et hostiles. Un tonnerre de pas, synonyme de poursuites effrénées entre squatters et force de l'ordre se fait entendre jusqu'à l'étage inférieur, des cris, des hurlements de mecs désespérés pour qui cette descente va s'avérer fatale. Et ce couple qui essaye de s'enfuir... Impossible toutes les issues sont bloquées, reste l'unique solution, la seule issue : "la boite". Un pan de mur qui abrite une cache, une cache que seul les "anciens" connaissent, un lieu repoussant mais on ne peut plus sûre. Clara n'était jamais venue ici, ce n'est qu'un lieu de secours, une protection contre les arrestations, elle ne connaissait pas même son existence. Le stress retombe, elle se retourne et détaille chaque parties de ce nouvel univers, une pièce carrée avec pour unique ameublement un canapé défoncé où les rats semblent apprécier de séjourner, des murs fissurés sur lesquels la moisissure a daigné remplacer la tapisserie et aucune arrivée d'air. La boîte, c'est comme ça qu'on l'appelle, ce nom lui va bien. On suffoque ici, prions que les flics ne restent pas trop longtemps, que l'évacuation soit rapide pour que nous pussions enfin sortir. La jeune femme n'a pas pris sa dose, le manque commence à se faire ressentir. Il fait froid dans cette pièce, je tremble, ma tête me fait souffrir, il me semble que quelqu'un s'amuse en frappant dedans, mon pouls s'accélère, mes jambes se dérobent sous moi mais je m'efforce de rester debout, vite qu'ils se dépêchent, qu'ils évacuent ! Il faut que je sorte, que je trouve un fournisseur, du nouveau matos... J'aurais ma dose au minimum dans deux heures si les flics décollent de suite et il le faut, je ne pourrais tenir plus... Kévin la retient dans ces bras et la serre encore plus fort car la crise à débutée, il sent son corps se contorsionner malgré la pression qu'il exerce sur ses membres afin de la calmer. Il lui parle, essaye de la rassurer mais rien n'y fait, la loi du manque est supérieure à la loi du cœur et cela l'oblige à la voir souffrir contre lui, à écouter les gémissements qu'elle laisse échapper, signe d'une profonde douleur. Il donnerait tout pour que sa souffrance cesse, pour que tous deux puissent s'échapper de cette vie de déroute, de peur et de crises mais il n'a rien, rien à donner pas même une dose, pas un gramme d'héroïne qui permettrait d'arrêter la crise de Clara, il n'a plus que ce cœur qui a trop souffert et ce corps intoxiqué... Il me sert contre lui, il me soutient et il m'aime mais il ne peut rien pour moi, un camé est destiné à être seul et je le suis malgré son appui. Son amour je l'accepte, moi-même je l'aime mais comment vivre ici, ce squat n'est pas une vie et même s'il me soutient aujourd'hui, qui sait ce qu'il fera demain ? Je m'efforce de ne pas y penser, je m'agrippe à lui pour m'empêcher de tomber, je ne veux pas partir, j'ai décidé de m'en sortir mais ça je l'ai décidé tant de fois, des fois de trop et je sais que je n'arrêterai pas, qu'une fois sortie je me ferai mon shoot et puis recommencerai jusqu'à en crever. Pourtant je rêve, je rêve d'une vie, une vie avec lui loin de tous ces dealers, de toute cette dope, d'une vie où le bonheur n'est pas artificiel. Je sens son cœur, à moins que ça ne soit le mien ? Peu importe ils sont mêlés, j'ai le tien il a le mien, nous ne formons qu'un. Et dans cette pénombre je le regarde, son visage d'une beauté sans égal, la noirceur de ses cheveux... Dans la pénombre je la regarde ou plutôt l'admire, si belle même dans ce moment difficile, ses cheveux qui la rendent angélique...
Le silence, plus aucun bruit, seuls ceux des deux corps tapis dans l'ombre mais dans l'immeuble règne un calme étrange.
" Ils ont évacué, sortons. "
Kévin prit la main de Clara et l'amena vers la sortie de la pièce pour rejoindre le couloir qu'ils emprunteront ensuite afin de respirer l'air de cette matinée printanière.
-"Suis-moi, je préfère passer devant, je te dirai quand tu pourras sortir, on ne sait jamais"
Kévin passa donc et Clara attendit. Un bruit de bagarre se fit entendre, puis un coup et gémissement qui laissèrent place au silence.
- "Kévin ! Appela Clara apeurée "Kévin ! " ... Silence...
La jeune fille pris alors peur, s'affole, elle ne bouge plus, reste immobile la peur au ventre et attend dans la pièce, silencieuse et scrutant la porte restée ouverte suite au départ de Kévin qui ne répond toujours pas à ses appels. Une lumière blafarde s échappent du couloir et s'introduit entre les quatre murs. Le silence devient pesant, la peur insoutenable. Mais où est-il pourquoi ne répond-t-il plus, Kévin je t'en prie, ce n'est pas drôle, vient me chercher... Un bruit... Comme un bruit de pas, j'ai peur, je ne peux me cacher... On s'approche... L'angoisse me conduit à un état proche de l'évanouissement et soudain une voix, grave et autoritaire :
" Sortez immédiatement, mains en l'air et pas de faux mouvements ! "
Un flic ! Je suis un peu rassurée. Il sort sa plaque me la montre rapidement avant de m'empoigner fermement par les poignets qu'il attache à l'aide de menottes en métal et qui vous scient les mains en cas de déplacement trop brusque. Mais où est Kévin, le couloir est vide, il n'y a toujours pas un bruit excepté celui que mon arrestation occasionne. Et là-bas dans la lumière je vois quelque chose, comme une tache d'huile, nous nous en approchons de plus en plus et je vais devoir la franchir pour sortir du bâtiment. Peu à peu je comprends, la tache est limpide, vermillon, elle luit éclairée par un rayon descendant de la fenêtre qui la surplombe : du sang. Immédiatement le mécanisme se remet en route, tout se met à tourner rapidement, je me débats, je veux qu'il me lâche ! Je lui assainis quelques coups sans succès.
"Kévin ! Je hurle, où est-il ?"
L'officier ne me dit rien, il refuse de parler me laissant dans un état d'affolement complet. Mon unique soucis est de savoir ce qu'il a fait à Kévin, peu importe où il m'emmène je veux voir Kévin !
Quand nous sortons du bâtiment, je constate qu'une horde de flics en civil et en uniforme entoure le bâtiment, je reconnais avec eux quelques squatters qui ont séjournés avec nous. Des flics, on était entouré de poulet, on vivait avec eux, on s'est shooté devant eux !
Mon tortionnaire me lâche et je me trouve cueillie par deux autres fonctionnaires qui me conduisent à une des voitures de la police stationnées devant l'entrée, j'y entre sans bronchée et complètement désemparée...
*
Clara entreprit un court trajet dans les rues de York où, à cette heure-ci, peu de gens étaient levés, elle regarda au-dessus de l'épaule du fonctionnaire chargé de sa surveillance et contempla l'univers qu'elle habitait depuis maintenant une année : des tours toutes plus hautes les unes que les autres, des pelouses rarissimes et ces mômes laissés à leur propre sort qui finiront comme elle si ce n'est pire. La loi de la cité est dure, elle ne fait pas de cadeaux, on y vit pas on y survit et pourtant tant de gens y habitent, y font leurs affaires mais certainement pas par choix, on tombe dans ce milieu comme avec l'espoir d'un dernier secours même si la mort serait parfois préférable à cette vie de galère. Cette cité est devenue mon univers, ma dernière chance, mon refuge en plein désespoir et même si la vie n'y est pas accueillante, il
m'a au moins permis de subsister mais qu'y suis-je devenue ? Une femme en pleine déchéance bien loin du futur qu'elle s'était imaginé. Quand je me regarde, je me fais horreur, je ne ressemble plus à rien, je tremble en espérant qu'on me fournira ma dose. Mes journées ne sont rythmées que par ma quête perpétuelle de mes shoots quotidiens. Complètement paumée, c'est bien ce que je suis cependant la rencontre de Kévin a bouleversé mes idées et m'a permis de repenser à une possible réinsertion même si je dois la faire sans lui... Les rues défilent devant moi, n'y traînent que les camés en manque, les dealers du coin et tout un tas d'autres marginaux. La voiture ralentie, nous arrivons sous un porche et le conducteur stoppe. On m'extrait de la voiture, d'une manière plutôt délicate en comparaison de ma dernière arrestation. J'entre dans le commissariat de Arden, quelqu'un m'en a déjà parlé, il paraît qu'il a bonne réputation, que les employés y respectent les individus qu'ils arrêtent. J'espère que Kévin n'est pas mal tombé et je m'inquiète d'ailleurs toujours autant quant à cette mare de sang déversé sur le béton du couloir, je prie pour qu'il ne lui soit rien arrivé de mal mais mes doutes persistent : je suis comme convaincu que cette flache d'un rouge lumineux a un lien avec lui mais je n'ai pas le temps de trop y penser, les policiers m'empoignent et me conduisent à un petit réduit grillagé.
"On viendra vous chercher dans quelques minutes - me glisse-t-il naturellement"
En attendant qu'on vienne m'interroger je regarde aux alentours, la cellule est petite, il me semble qu'elle ne pourrait contenir que quelques personnes mais de toute façon j'y suis seule. Aucun bruit ne se fait entendre à par le remue ménage venant des bureaux, mais leurs éloignements ne me permet pas d'entendre le moindre son distinct. Je contemple cet univers nouveau, qui m'effraie un peu puis mon regard s'attarde sur les murs qui m'entourent. Dans le béton sont gravées des inscriptions, en m'approchant un peu plus en avant je réussis à en déchiffrer quelques-unes unes mais la plupart d'entre elles se trouvent polies par le temps et les gravures des personnes qui séjournèrent depuis. Une m'intrigue particulièrement, elle semble intacte, personne n'a réécrit dessus et les années qui séparent son écriture de mon séjour ne paraissent pas en avoir effacé la moindre parcelle. Elle a tout de suite attirée mon regard de par sa clarté, on dirait qu'elle a été écrite juste avant ma venue pourtant une date y est notée avec cette même écriture fine et sensible, en plus petit juste au-dessous d'un court texte : le 23 juin 1997. Il y a six ans, ce mot date de six ans et pourtant, pourtant il semble si récent. Et cette date aussi, cette date si prometteuse et qui s'avéra finalement si malheureuse. Je m'attarde encore un peu sur ces lettres tracées à la perfection, avec art, des lettres rondes et distinctes que je n'aurais jamais cru pouvoir trouver sur le mur de béton d'une cellule si je n'avais pas vu celles-ci. Et comme dans la pierre chaque mot s'inscrit dans ma tête, cette suite de caractères qui en s'enfilant les uns aux autres donnent le message suivant :
"Ma vie s'arrête ici : le cœur déchiré et le cou lié"
Cette phrase me tourmentait, on y sentait la dureté des mains d'une femme résolue, de quelqu'un de grave qui prend une décision importante et irréversible comme en se nouant ses lacets de chaussures autours de la nuque.
Ma réflexion fut quelque peu perturbée par les tremblements dont j'étais victime, la station verticale que j'avais jusqu'alors adoptée me devint insupportable, mes jambes n'arrivant plus à me porter. Mon corps n'était devenu qu'un amas de membres douloureux qui s'agitaient entre eux et me donner des convulsions qui m'empêchèrent bientôt de continuer mon analyse de cet environnement si mystérieux. La seule issue est de m'asseoir sur la banquette au coin de la cellule mais je ne suis même pas sûre de pouvoir y demeurer car les frissons qui me parcourent ne me permettent pas de rester immobile, je préfère donc m'installer à même le sol pour m'éviter une possible chute. J'ai honte, honte de mon état, honte de me montrer ainsi, plus basse que terre sans aucune dignité, je suis condamnée à obéir, obéir pour qu'on mette fin à ma souffrance, et dans cet état de crise je serais prête à tout, chose qu'il y a quelques années je n'aurais jamais accepté mais maintenant j'y suis contrainte. Ma dignité n'en est plus une à cause de cet homme, cet homme qui m'a conduit jusqu'ici mais contre qui je ne peux rien et ne pourrais jamais rien. Que diraient les gens que j'ai connus, ce peu de personne pour qui je comptais réellement ? Me pardonneront-elles un jour de ne pas avoir su leur dire, de ne pas avoir su leur expliquer ? Je ne sais pas si elles m'en veulent, j'espère que non. Il y a encore plusieurs mois ou même juste quelques heures de tout cela je me foutais. J'étais révoltée et désespérée au point de ne plus rien éprouver face à la souffrance que j'imposais aux autres, face à mes actions intolérables. Quand on entre en dépression plus rien ne compte, on devient égoïste, on manque à tous nos devoirs et les règles de la vie en société ne nous font plus aucun effet, toutes les critiques, les remarques blessantes des personnes qui les disent afin de nous faire réagir ne comptent plus. Le monde est devenu pour nous comme transparent, plus aucune envie juste celle d'oublier. Oublier qu'on existe, oublier ce corps et surtout cette pensée.
Et dans cette cellule je pense, pense à cela, à la vie qui m'a conduit jusque-là. Idées noires ? Peut-être pas, plutôt grise disons. Juste la mélancolie qui m'emporte, qui me fait retracer le parcours, les obstacles que j'ai contournés et ceux que je n'ai pu éviter. Ma vie n'a pas été un long fleuve tranquille mais c'est dans cette cellule que je décide de tout stopper. Stopper cette vie de débauchée qui ne rime à rien, arrêter de faire souffrir mon corps et mon cœur. Ma peine je l'ai assez purgée, je veux que tout finisse. Deux années de dépression, un an de squat, d'herbes puis de H, tout ceci est fini.
Kévin ? Je ne l'oublie pas. Il y a un an ou plutôt deux maintenant je n'aurais jamais cru pouvoir aimer à nouveau car mon cœur je l'avais déjà donné à quelqu'un qui n'en a pas pris soin. Il m'a tant fait souffrir que je me suis promis de ne plus jamais sombrer dans l'amour, je ne voulais pas m'y renoyer. Quand j'ai appris à connaître Kévin tout a changé, il a pris soin de moi malgré mon refus de me laisser apprivoiser, il a toujours été là même si je n'étais qu'un petit cœur effarouché qui ne voulait pas se laisser aimer. Il m'a accordé du temps, il m'a attendu, attendu que je comprenne que lui il était différent, que jamais il ne me ferait du mal. Malgré mon tempérament, mes crises répétées, mon implacabilité il a su, à force d'amour et de tendresse, abaisser toutes les barrières que je m'étais dressée. Il a eut le courage de me donner son amour sans contre-partie, un amour à sens unique où il était près à tout pour moi sans promesse d'un quelconque retour de ma part. Prêt à tout, même à perdre le nom qu'il s'était forgé ici et l'estime de ceux qui rampé devant lui mais à quoi ceci va-t-il nous conduire ? Il ne pourra jamais me relever d'ici, trop impliqué. Nos vies se vivront encore à cent à l'heure- je ne veux plus-.
Au début il m'énervait, ses tentatives d'approche, sa réputation dans la cité, sa démarche et cette façon qu'il avait de me regarder ! Ici personne ne devait lui résister et encore moins une camée, pourtant c'est ce que moi j'ai fait. Que pensait-il de moi à l'origine ? Et bien ce qu'il pensait de toutes les autres : encore une fille facile qui ne demande que mes services, une nouvelle proie pour renforcer l'image que l'on se fait de moi. Dans la cité tout le monde avait peur de lui, chacun de nous se devait de le respecter, d'assouvir ses moindres désirs mais moi je n'avais plus rien à perdre alors je ne me suis pas laissée faire. Dans la cité les hommes doivent montrer leur force, leur supériorité, leur virilité est poussée à son maximum. La peur ? Un mot banni de leur vocabulaire, ici on est capable de n'importe quoi pour se faire respecter. Les filles elles ne sont rien enfin si elles leur sont utiles pour montrer que c'est l'homme qui domine, pour défouler ces messieurs et les rassurer "oui nous te sommes soumises, oui je vais obéir, oui je ne suis qu'une traînée". Les femmes n'ont pas le droit d'avoir une dignité ou si elles la désirent elles devront la payer au prix de leur vie. Univers paradoxal où les filles sont dignes si elles arrivent à ne pas se faire violer mais où quand elles résistent, se font tuer. Personne ne met fin à cela, un cercle vicieux qui ne cessera de tourner. Kévin était un de cela et peut-être même le pire : les filles il n'en faisait qu'une bouchée, la peur, peur de se voir brûler, poignarder alors elles acceptaient au prix de leur virginité, de leur honneur, toutes il les souillait. Comment as-t-il pu changer ? Il me semble qu'en refusant l'intimidation, en détournant ses diverses invitations pour privilégier de longues conversations j'ai réussi à lui faire comprendre que ce qu'il faisait été mal, que sa vie n'était pas ici et que les femmes n'avaient pas à être traitées comme elles l'étaient. Peu à peu il s'est transformé, de cet homme à l'air supérieur il est devenu la personne de maintenant. Sa métamorphose a été, il est vrai, radicale : de son refus d'aimer est apparu son amour à sens unique. Son esprit de chef a complètement disparu, son orgueil qui lui avait valu jusque-là le respect et l'estime de tous s'est envolé et moi ? Moi je continuais à le garder en tant qu'ami pourtant il m'a prouvé comme jamais combien il m'aimait. Aimer une fille dans la cité équivaut à se faire rejeter. Kévin il m'a préféré, toutes ces années où il a fait sa place il a su les oublier pour moi. Qu'un homme avoue ses sentiments ce n'est déjà pas très courant mais qu'il le fasse devant des centaines de personnes c'est... Il n'y a pas de mots pour cela car ici l'amour est tabou, Kévin a fait un très grand sacrifice. Devant tout ce qu'il faisait pour moi, jusqu'à braver ses amis pour me défendre, j'en suis tombée réellement amoureuse, de cet amour que je m'étais promis d'oublier, cet amour qui fait mal, cette force qui vous pousse, qui me pousse aujourd'hui à regarder ma vie, ma vie qui finira ici...
Clara songeuse, allongée sur le sol froid de cette cellule grisâtre de Arden street, pense, pense à la vie, à sa vie. Son histoire avec Kévin qui ne rimera à rien. Depuis deux ans Clara ne vit plus, pourtant aujourd'hui grâce à cette arrestation peut-être ou au fait qu'elle se retrouve rampante sur un sol sale par les convulsions dont son corps est victime en réponse à la drogue qu'elle ingurgite depuis bientôt une année, Clara décide de stopper cette vie, cette vie qui n'en est en réalité pas une, cette vie faite de paradis artificiels. A cet instant précis et en rêvassant à tous ces moments en compagnie de son amant, elle sait ce qu'elle veut. Oui, elle Clara sait enfin ce qu'elle veut après deux ans sans aucune volonté sauf celle de ne rien vouloir et de tout oublier. Son souhait ? Il est commun mais pour elle c'est bien plus qu'une sage décision, c'est une véritable renaissance, un apaisement : en finir avec la vie, cette vie qu'elle avait laissée en pointillés peu après le départ de l'homme qu'elle n'avait su qu'aimer. Un homme qui avait su la détruire, elle, cette femme qu'on croyait si forte malgré son apparente délicatesse, son allure angélique.
Clara, elle avait tout d'un ange et même encore maintenant alors qu'elle se tord sur le sol de cette cellule hostile, crispée par la douleur que lui procure son corps, son visage rayonne. Ses cheveux forment comme un halot de lumière autours de son visage de porcelaine souligné par cette bouche rose pâle luttant pour trouver l'air nécessaire. Clara, quand on la voit rien ne pourrait nous laisser envisager qu'on puisse lui faire du mal. Personne ne touche à un ange, personne ne devrait en briser le cœur car un ange est sacré. Pourtant Clara, elle, a souffert, souffert du départ de la personne qu'elle aimait, souffert pendant deux longues années pour tenter d'oublier que son cœur avait été bafoué.
Il y a des femmes qui inspirent le respect de par leur attitude, leur générosité, leur beauté et leur intelligence : Clara est une de celles-ci. Pourtant Charles lui n'a pas été convenable avec elle. Charles, c'est l'homme dont elle s'est éprise, l'homme parfait selon elle, l'homme de sa vie même si son entourage ne partageaient pas son avis, l'homme qui l'a finalement conduite jusqu'ici. Comme toute jeune femme passionnée Clara dépensait son amour sans compter, Charles le lui a toujours rendu jusqu'au jour où il mit fin à quatre ans de relation, quatre années d'un amour ardent et insatiable. Une relation magnifique, presque magique, incroyable en tout cas. De leur rencontre il ne reste aujourd'hui qu'une jeune femme brisée, une femme qui tremble sur le béton armé et qui a remplacé celle en qui on voyait un avenir prometteur, une vie longue et couronnée de succès. Clara n'a pas tellement changé, elle a toujours cette beauté, son bon sens, sa grandeur d'âme, pourtant elle a traversé beaucoup de choses, son amour perdu l'a conduit à bien des d'autres pertes. Dans ce commissariat elle se rend compte, elle regarde son parcours depuis qu'elle a vu Charles pour la première fois.
Charles ? Je l'ai rencontré il y a un peu moins de sept ans, un jeune homme beau, intelligent, très prometteur et qui avait déjà su faire sa place dans ce monde envié de la mode. Un monde dans lequel moi-même j'essayais de me faire reconnaître ou plutôt exactement connaître. Les relations de mes parents m'avaient permis de me faire accepter dans les diverses fêtes mondaines des créateurs, je pus donc y rencontrer de nombreuses personnes qui avaient la possibilité de m'aider dans ma tentative d'ascension vers une quelconque reconnaissance de mon travail en tant que styliste. Ces fêtes hors du commun où je me laissais me noyer, le champagne à profusion, ces tables immenses où les mets les plus recherchés y étaient disposés avec art. Un milieu où toutes les folies étaient permises même celle de tomber amoureuse d'un homme qui vous détruirait et ne laisserait de vous qu'un zombi sans envie aucune. Cette folie je me l'a suis permise. Lessivée par plusieurs relations qui s'étaient avérées totalement infructueuses, je ne souhaitais plus me jeter à corps perdu dans une aventure de plus que je devrai avorter quelques semaines plus tard après mettre rendu compte que ce n'était décidément pas le bon une fois de plus ! Je voulais une histoire d'amour durable, solide et sincère.
Ma rencontre avec Charles s'est déroulé comme beaucoup d'autres : un dîner d'affaire, ce visage qui m'intrigue, quelques mots échangés et puis une amitié qui commence...
Notre relation a commencé de façon tout à fait platonique, par cette simple amitié : moi prête pour m'engager durablement avec un homme malgré mon jeune âge, lui qui ne paraissait chercher qu'une fille de plus pour compléter son tableau de chasse. Nous paraissions donc en totale opposition du point de vue de l'avenir de nos relations futures, c'est pour cela que nous décidâmes de rester de simple amis. Et puis, et puis une relation platonique se doit d'être plus tonique que plate alors, alors à force nous sommes tombés amoureux. Nous nous y sommes tout d'abord refusé : moi par méfiance, lui apeuré par ses propres sentiments. Le désir que nous éprouvions l'un envers l'autre a été plus fort, trop puissant pour notre résolution, notre pacte d'amitié. La souffrance de se voir aussi proche sans pouvoir aller plus loin alors que nous savions très bien l'un comme l'autre que notre souhait le plus cher était de pouvoir nous toucher, nous embrasser, nous aimer ! Quand la passion l'emporte rien ne peut lui résister, pas même la peur d'une femme ou bien celle d'un homme. Et quelle peur ? Nous n'avions plus aucune peur, pour moi il s'agissait bien d'une relation stable et certainement durable, je ne doutais plus, j'étais sûre de moi et de lui. J'avais trouvé le bon et j'osais le crier au monde entier, moi d'habitude si pudique et si discrète ! Je me nourrissais de lui, il était ma raison de vivre, mon oxygène. Pour la première fois de ma vie, je me lançais dans une relation censée qui aboutirai à quelque chose, pour la première fois je me sentais réellement amoureuse, j'étais même plus que ça : passionnée, folle, dingue ! Oui, prête à tout juste pour lui. Mais il était ma moitié, il faisait parti de moi. Avec lui ma vie semblait changé du tout au tout, elle avait trouvé son sens, son but. Je nageais en plein bonheur dans ces bras où je me sentais protéger, en sécurité, apaisé, loin de tout dans un paradis réel que je devrais contenter après sa fuite par des paradis artificiels. Charles, tu étais mon rayon de soleil, l'être dont j'avais toujours rêvé, l'amant attentionné que je recherchais.
Et quand venait le temps de notre union, symbiose parfaite entre nos deux êtres qui n'en faisaient plus qu'un, nos cœurs qui battent ensemble dans une même excitation, ce même rythme effréné. Ce plaisir charnel si intense de par notre amour brûlant qui nous laissait dans l'extase la plus totale. Ces caresses incontournables comme pour nous rappeler combien on s'aimait, cette peur d'oublier qui nous prenait et nous poussait à faire l'amour avec plus de ferveur que jamais. Rien ne semblait pouvoir nous séparer, notre amour était trop vrai, trop intense. L'intensité, oui c'est le mot, nous vivions notre relation à cent kilomètres heure. Des trucs fous, on faisait des choses insensées comme deux adolescents, deux amoureux qui découvrent combien la vie peut-être belle et vertigineuse. Toujours à la limite, proche de la rupture, en équilibre entre amour et haine. Tellement fou d'amour, fou de haine. Des crises qui deviennent des fous-rires interminables, des fous-rires interminables qui se transforment en crises. L'amour par-dessus tout, un amour fou qui se métamorphose en haine, haine contre celles qui osent l'approcher, jalousie extrême de ces hommes qui viennent me parler. Ta jalousie me faisait rire, ma jalousie te faisait rire ! Deux enfants tellement grands ! Et quand je pense à ces instants je ne peux m'empêcher de sourire, un sourire que vient altérer mon état de droguée. Mais je me replonge dans ces pensées, ces moments si loin mais dont je me souviens tellement bien ! Ses caresses, ses mains si douces qui s'attardaient le long de mon corps, ses lèvres qui en m'effleurant à peine me procurer un bien-être fou, sa voix si mélodieuse qui me faisait tout oublier, qui me faisait partir vers cet état sans limite dans lequel seul l'amour peut vous plonger. La chaleur, les courbes de son corps, ce corps parfait qui me faisait fantasmer. Sur un même tempo, sur la même longueur d'onde nous étions nous-mêmes quand nous étions unis. Ce désir qui me poussait dans ses bras, cette envie ardente de me laisser emporter par le plaisir qu'il me procurait, je n'étais moi que près de lui. Nous pouvions passer des heures à nous regarder, contempler cet homme, cet homme qui était devenu tout pour moi. Ma raison de vivre, ma seconde moitié. En plus d'être un confident, un ami, un complice, il était un amant formidable. Le seul qui m'ait autant fait vibrer, le seul qui savait me prouver son amour, cet amour passionné qui nous enflammé le temps de quelques minutes, des minutes si courtes mais si précieuses qui renforçaient l'amour que j'éprouvais. Je devais être proche de la folie mais c'était tellement bon ! Prête à tout, prêt à tout, à tout braver pour nous retrouver. Je me levais pour l'aimer, je travaillais contre mon gré dans l'espoir de le revoir avant le soir, quelques instants en sa compagnie puis je me couchais auprès de lui pour ne rêver que de lui. Mes pensées n'allaient que pour Charles. Une idiote, oui, c'est tout ce que j'étais alors, une gamine folle d'amour qui ne pensait qu'à lui et délaissée son travail qui jusque-là avait tenu toutes les places dans sa vie.
Je suis sereine, mon issue ne me fait pas peur, je n'aurais pas le temps comme la plupart des gens de me torturer à savoir quand la mort viendra me chercher. Moi, je la contrôle, j'en suis maîtresse, elle ne me prendra pas au dépourvue, je l'affronte en direct, je la regarderai jusqu'au bout, je ne pleurerai pas, je l'aimerai. L'homme a peur de la mort, il s'y refuse, tremble quand elle survient pourtant n'est ce pas chose naturelle ? N'aurez-vous pas assez vécu quand elle se montrera ? Il me semble que l'âge est un mauvais facteur de décision, pourquoi dire : il était trop jeune pour mourir ? Pourquoi penser : il avait fait son temps ? A quoi cela sert-il de vivre quand on n'en a plus envie ? A beaucoup de choses, la vie est pleine de surprises, de victoires et d'échecs. Mais je crois que bien plus que la Mort, c'est nous qui décidons si nous voulons continuer ou pas, nous en avons la force ou non. La mort frappe les 3/4 des gens, ceux qui sont trop égoïstes pour si résigner eux-même. Peu importe le temps de notre vie pourvu qu'on en ait profitée. Moi, je n'en ai pas réellement profitée mais du moins j'en ai tout connu, je ne peux plus avoir ni illusions ni désillusions. Dans ma tête je suis une vieille dame de quatre-vingt-dix ans, j'ai vécu et maintenant je souhaite me retirer; la mort ne me frappera pas, elle m'obéira.
Etendue sur ce sol froid mes idées ne sont pas noires, non, grises plutôt. Pas d'amertume, encore moins de remords, qui sait où je serais demain ? Un vent de solitude court sur ma vie, un souffle doux et puis, un geste mécanique, une petit bout d'acier, quelques poussières, un béton entamé où resteront gravés :
"Ici s'arrête mon histoire : le cœur rongé par deux amours illusoires et le cou lié"
La rugosité de mes lacets, un ruban autours de mon cou, je l'attache et je me pends.
Qui sait où je serais demain, peut-être comme la belle au bois dormant... | | |
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