| ConséquencesUne preuve de l'impact que peuvent avoir certains évènements de l'enfance...Il était là. Comme tous les soirs. Il était venu participer au repas familial. L'horloge de la cuisine indiquait 20 : 31. Il regardait toujours l'heure en arrivant à table. Une habitude prise depuis qu'il s'était aperçu que son père s'énervait vite quand son estomac n'était pas rassasié. Celui-ci aurait apprécié des repas à heures fixes, de préférence assez tôt, comme 12 : 30 et 19 : 30 par exemple... Mais la cuisinière, qui se trouvait être sa femme, ne l'entendait pas de cette oreille. Elle ne voulait pas s'enfermer dans une routine d'horaires à respecter. Elle voulait pouvoir faire ce qu'elle voulait quand bon lui semblait. Elle faisait la cuisine depuis toutes ces années, pour ses deux enfants et son mari. Toutes ces années, elle avait vécu à leur rythme, en suivant plus particulièrement celui de ses deux garnements. Les lever, leur préparer leur petit-déjeuner, les amener à l'école, aller les chercher à midi pour leur faire un rapide repas avant de repartir à l'école. Aller les chercher le soir, faire les devoirs, accueillir le mari, faire le repas pour eux trois, coucher les enfants, regarder un téléfilm - sans doute divertissant à ce moment de la journée - puis, enfin, aller se coucher. Pour recommencer la même chose le lendemain. Pas drôle comme vie, n'est-ce pas ? C'était à dégoûter d'avoir des enfants, de fonder une famille... Elle le faisait par amour, par amour pour ses enfants. Sans doute en payait-elle le prix, le prix d'un sacrifice personnel.
Un évènement d'une banalité déconcertante
Il devait avoir presque 8 ans. A cet âge là, on ne connaît que peu de choses de la vie. L'autorité parentale est encore la voix de la sagesse, leur regard sur lui était un reflet qu'il voulait toujours plus beau et pur. Un peu utopiste sur les bords, le jeune homme : je crois qu'il l'est resté... Un soir d'été, qui avait amené en Bretagne de gros nuages gris, il était allé aux toilettes. Il était aux environs de 22 : 00. Une fois son affaire terminée, Monsieur avait tiré la chasse d'eau. Quelle ne fut pas sa surprise quand il constata que l'eau, après être montée dans la cuvette, ne redescendait pas, même après quelques secondes d'attente. Surpris, il en fit part à sa mère. Qui ne manqua pas d'alerter le reste de la maison. Rapidement, cela devint la raison de tout déplacement, toute initiative, toute discussion. Le père avait pris les choses en main. Il était donc confortablement installé sur les genoux, avec pour objectif principal d'arrêter cette chasse d'eau qui commençait à inonder timidement le couloir. Le jeune coupable, lui, restait en arrière, inquiet du devenir de la situation, mais pas assez audacieux pour tenter quoi que ce soit. Après quelques minutes et quelques jurons lancés, le père vint à bout de la chasse d'eau. La mère allait donc nettoyer le début d'inondation pendant que le père s'occuperait de déboucher le tuyau obstrué, tout cela avant que la nuit se soit définitivement installée.
Le tournant de la soirée
Le père était maintenant dehors, commençait à creuser dans le jardin, sous le regard inquiet de son petit garçon, qui le sentait s'énerver de plus en plus. Les jurons lancés (bien que, de toute la soirée, il ne laissa pas échapper la moindre insulte) et l'attitude de son géniteur lui faisaient comprendre qu'il avait fait une bêtise au mauvais moment. Notre coupable observa donc son père toute la soirée. Un trou dans le jardin, on s'accroupit. La nuit tombe... Il fallait de la lumière. Rien ne se passait comme il faut. La maison semblait plongée dans un désordre angoissant, vicieux. Au bout d'un moment, le père ne cacha plus son agacement. Il s'en pris machinalement au petit coupable qui avait osé s'approcher. Verbalement. Une sorte de "Rha, bondieu ! T'aurais pas pu de démerder mieux que ça ? !? ". Avec l'accent du "j'arrive pas à déboucher ce #* ! ~'$£ de tuyau de m**** !! " Le petit garçon se retira dans sa maison, en gardant un oeil sur l'opération de débouchage, de loin. Il se sentait coupable.
Coupable
Coupable d'avoir bouché ses toilettes ? Cela en ferait rire plus d'un. Non, il se sentait coupable d'avoir dérangé la soirée de son père (qui se serait déroulée devant un téléfilm, comme d'habitude), de ne pas avoir été capable d'assurer à son père une soirée calme, après le stress de son travail subi toute la journée, d'avoir infligé cette mauvaise humeur à toutes les personnes présentes chez lui pendant cette soirée. Il avait énervé son père, il n'était pas capable de lui accorder le calme pendant une soirée. Il s'en voulait beaucoup. Depuis, quand son père s'énerve, il le prend pour lui. Il se sent coupable. Malgré les années qui sont passées, malgré la banalité de cet évènement, il est resté marqué.
Suite du repas
L'horloge de la cuisine indiquait 20 : 37. Sa mère se leva pour aller chercher la suite. Mais elle voulut tester une manière de présenter son plat pour d'éventuels invités, ce qui prit plus de temps que prévu. Le père commença à s'énerver. Le dîner avait déjà commencé tard, mais si en plus elle jouait à faire de l'esthétique... Il savait bien que son père ne supportait pas d'attendre entre l'entrée et le plat. Alors il fit tout pour accélérer l'entreprise de sa mère, pour la dissuader, pour faire en sorte que le plat arrive vite sur la table. Ces minutes étaient longues et douloureuses pour lui. En son for intérieur revenait le souvenir de cette soirée, de ce jardin plongé dans l'obscurité, et de ces mots durs qui en sortaient, pour venir l'atteindre personnellement. Il en voulait à sa mère, il lui en voulait de lui infliger ça. Mais elle n'en savait rien. Elle poursuivit même son élan, en agissant de la manière exacte qui agaçait son mari. Le jeune homme le savait. Il devinait ce qui passait dans la tête de son père et s'en voulait pour ça. La situation commençant à devenir insoutenable, il ne mangea presque rien, pour disparaître le plus rapidement de cet enfer et s'isoler.
Demain, deux autres repas... | | |
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