| De l'amour à l'au-delàUne enfance sans joie. Une rencontre étrange. Un tableau sans peintre. Une amitié éternelle. Un départ déchirant. Une promesse à tenir. Un amour surpassant les frontières de la vie et de la mort.Auprès d'une petite rivière, une jeune femme assise au pied d'un arbre.
—Michel... Reviens pour moi, s'il te plaît... Marmonna-t-elle sans cesse, le regard perdu dans les nuages incendiés par le coucher du soleil.
Un mince brouillard humide se forma légèrement dans ses yeux.
Cinq ans plus tôt.
Un certain matin, dans une école d'une petite ville.
Une étrange odeur de pourriture envahit doucement la salle de classe. Des regards dégoûtés et soupçonneux inspectèrent une jeune fille enveloppée par des habits sales et déchirés, assise toute seule dans un coin sombre de la pièce. Des rires de mépris et des chuchotements éclatèrent auprès d'elle.
Impassible, la pauvre fille faisait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre.
L'entrée de l'enseignant, accompagné par un jeune garçon aux traits marquants et aux belles allures, calma la classe. Avec une voix monotone, il présenta ce dernier à ses élèves.
Michel. Un nom adorable. Un garçon adorable.
Tous les regards se dirigèrent vers lui, excepté celui de la jeune fille pauvrement habillée.
Le nouvel élève observa la pièce, salua tout le monde, un sourire chaleureux aux lèvres.
Des pensées fantaisistes s'illuminèrent involontairement derrière les belles têtes des filles.
À l'étonnement de tout le monde, Michel se dirigea vers le coin sombre où était assise la jeune fille mal habillée, en contournant les autres places vides que l'on venait juste de lui préparer.
Des regards hostiles se dirigèrent de nouveau vers la jeune fille, mais cette fois, ils étaient haineux et incrédules.
Peut-être qu'il était enrhumé ou myope, se dirent les élèves.
—Allô, dit-il avec un sourire amical, en s'asseyant près de la jeune fille.
Mais la fille ne le regardait pas. Son expression toujours impassible, son regard perdu dans ses propres pensées.
Le cours commença. L'enseignant parlait sans enthousiasme, comme d'habitude.
Personne n'écoutait, de toute façon. On portait plutôt l'intérêt sur l'origine du nouveau.
Quant à Michel, il ne semblait qu'intéressé par sa collègue assise à son côté.
Une fille si silencieuse et isolée. Une fille remplie de mystères.
—Comment tu t'appelles ? Demanda-t-il doucement, ne pouvant plus endurer ce silence.
Aucune réponse. La fille ne sembla pas l'entendre.
—Est-ce que tu habites près de l'école ? Dit Michel à nouveau.
Le silence.
—Eh bien moi, j'y habite tout près. Dans une petite maison blanche. Blanche comme de la crème fouettée.
Le silence encore. Mais Michel ne s'abandonna pas.
—Moi je ne vivais pas dans cette ville. Je viens de très loin. De la capitale en fait. Et toi ? Es-tu née ici ?
Le silence.
—Je viens vivre avec ma mère. Elle en a assez de la vie dans les grandes villes. Elle veut essayer la vie paisible à la nature. Dis, sait-tu s'il y a des champs de maïs, ici ? J'aimerais ça, voir la campagne.
Le silence.
—J'aime aussi la pêche, pas toi ?
Toujours le silence.
...
Ce qu'il était bavard, ce garçon, pensa la jeune fille.
Le soir de la même journée.
Michel, après le souper, se promena nonchalamment dans les petites ruelles près de sa maison. Tout semblait l'amuser énormément.
Soudain, son sourire chaleureux s'effaça.
Au seuil d'une maison de bois très rudimentaire, dont les peintures se décollaient entièrement des murs, s'accroupissait une jeune fille aux vêtements déchirés. Le visage caché entre les genoux, la jeune fille semblait frissonner sous le vent accablant du début de printemps.
D'un pas furtif, Michel s'approcha.
D'abord, il observa la petite créature tremblotante. Ensuite, il enleva sa veste pour la mettre sur le dos de la jeune fille.
Celle-ci frémit. Lentement, elle leva la tête pour dévisager Michel. Deux lignes pâles se dessinaient sur ses joues poussiéreuses.
—Salut. Comment vas-tu ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Demanda doucement Michel avec souci.
Le fille, muette, le fixait avec des yeux rouges, grands ouverts.
Michel se força pour retrouver son sourire. Il en était incapable. Sans savoir pourquoi, le visage apeuré de la jeune fille perça son cœur et heurta son âme. Il ne savait plus quoi faire.
Il la regardait profondément, et elle aussi.
Le silence.
Une voix rocailleuse et soûle brisa ce doux silence.
—Sale petite salope ! Je vais te tuer ! Je te nourris avec tout mon possible et qu'est-ce que tu fais pour me remercier ! Rien ! Absolument RIEN ! Tu es comme ta mère, une vraie pute ! Viens ici que je te donne une bonne volée que tu mérites bien !
Tout de suite, la stupeur et l'effroi se lisaient dans les yeux grands ouverts de la jeune fille. Elle tremblait de plus en plus fort.
Michel crut qu'il comprit à ce moment. Il commença à comprendre beaucoup de chose au sujet de cette fille mystérieuse.
—C'est ton père ? Demanda-t-il gravement, le visage inquiet.
La jeune fille hocha d'abord la tête et, après quelques instants d'hésitation, la secoua.
La voix à l'intérieur de la maison se fit entendre à nouveau.
—Sale petite garce ! Tu es née une pute, tout comme ta putain de mère ! Si ce n'est pas moi qui l'ai sortie de là, elle et toi allez pourrir toutes les deux dans ce bordel parce que ton libertin de père vous a laissées tomber ! Et comment vous me remerciez ? C'est à cause de ta putain de mère que j'ai perdu ma fortune ! Vous m'avez vidé de mon fric !
Un éclat se fit entendre et des pas lourds résonnèrent contre le plancher fragile.
—Je vois. Et il boit beaucoup ? Interrogea Michel
La jeune fille ne lui répondait pas. Horrifiée, elle lui tendit sa veste et lui fit signe de partir.
Une main empoignant une bouteille apparut devant la porte.
—Viens avec moi, dit Michel en attrapant le bras de la jeune fille terrifiée. Je t'emmène chez moi. Il n'est pas question que tu restes avec lui.
Cette dernière, surprise, se débattait d'abord pour se libérer. Mais Michel se mit à avancer avec son bras dans la main. Lentement, elle s'abandonna et courait pour le suivre.
—Je m'appelle Annabelle, marmonna-t-elle, à voix basse, sans se demander si le jeune homme l'avait entendue.
Ce fut la première chose qu'elle lui eut dite.
Plus tard.
La maison de Michel était, telle qu'il l'avait décrite, blanche comme de la crème fouettée. Isolée et entourée de clôtures, elle était si jolie et noble, que l'on pourrait pu croire qu'elle était unique.
Unique, tout comme celui qui l'habitait.
Une vieille femme souriante ouvrit la porte. Elle était surprise de voir Michel accompagné d'une inconnue.
—C'est une amie qui vient passer une nuit ici, dit-il simplement.
Annabelle baissa sa tête sous l'inspection de la vieille femme.
En voyant les vêtements déchirés de la jeune fille et ses joues sales, celle-ci sourit et les laissa entrer sans poser de questions.
L'intérieur de la maison était aussi d'une beauté et d'une propreté inédites pour Annabelle. Michel l'amena dans sa chambre et la fit asseoir sur son lit.
—Est-ce que ça va ? Demanda-t-il avec inquiétude, agenouillé près d'elle.
Annabelle, qui le regardait dans les yeux, hocha doucement la tête.
Le sourire chaleureux de Michel se dressa de nouveau sur ses lèvres.
—Ici, personne ne viendrait t'intimider, tu peux compter sur moi, dit Michel pour la réconforter.
Elle le regardait toujours, sans dire un mot.
—Tu pourrais dormir tranquille ici, continua-t-il, je vais te prêter ma chambre. C'est un peu en désordre mais tu es probablement trop fatiguée pour t'en rendre compte. Tu pourrais aussi prendre une douche. La salle de bain est juste à côté. Je vais aller te chercher une serviette propre, dans un instant. Ne t'inquiète pas pour ton père, ou ton beau-père, je vais m'arranger avec lui.
Les yeux de la jeune fille pouffèrent de rire en voyant Michel qui parlait comme une vieille.
En découvrant sa victime amusée, Michel la fixa et sourit.
À travers la chemise déchirée, il découvrit des traces roses sur le bras gauche d'Annabelle. Des traces de violence.
Pris soudain par une colère, Michel attrapa attentivement son bras pour mieux voir.
Toutes les blessures sur le corps de cette fille faisaient serrer le cœur de Michel.
Il ne savait pas pourquoi.
Il la força d'aller prendre sa douche, et il voulait lui-même soigner ses blessures.
Après avoir déposé sa trousse de premiers soins, le jeune homme nettoyait maladroitement les plaies sur les bras et sur les jambes. Ses gestes exagérés donnaient des douleurs perçantes à la patiente, mais celle-ci ne poussa jamais un gémissement.
Elle regardait Michel qui se débattait avec des bandages.
Peu à peu, la glace qui couvrait son coeur commença à fondre.
Toute cette gentillesse la rendait presque au bord de ses larmes.
Après avoir bu une soupe préparée par la mère du jeune homme, Annabelle s'endormit paisiblement. Plus de cauchemars, plus de beau-père soûl, plus de mépris, plus de violence. Elle ne faisait que des beaux rêves d'enfance pure.
Des rêves où l'histoire se terminait toujours bien, où le prince charmant et la belle princesse vécurent heureux pour le reste de leur vie.
Le lendemain matin.
Annabelle se réveilla sous le regard ardent de Michel.
Le jeune garçon eut soudain l'envie de la regarder, comme ça, pour l'éternité.
Il ne comprenait pas pourquoi.
—Je vais te préparer une rôtie pour ton déjeuner. Voudrais-tu manger tout de suite ? Demanda-t-il.
La jeune fille hocha la tête.
Elle était si jolie, sans la poussière qui profanait sa beauté.
Assise près de la table de la cuisine, Annabelle, bouche bée, regardait Michel qui s'agitait avec précipitation dans la cuisine, faisant virevolter des casseroles et des assiettes à un rythme violent.
Il tentait d'étendre maladroitement tout ce qu'il pouvait trouver sur les deux tranches de pain.
Beurre, mayonnaise, beurre d'arachide, confiture de fraise, confiture de pêche, confiture de framboise, tartinade au chocolat, tartinade aux noisettes...
Absolument tout.
Annabelle regardait éperdument la couleur étrange dans son assiette, une larme traversa son visage.
—Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda Michel, inquiet. Tu ne l'aimes pas ? Voudrais-tu que je te prépare un sandwich à la place ?
Sanglotante, Annabelle secoua brusquement la tête et attrapa une rôtie pour en prendre une énorme bouchée.
Peut-être que le goût de la rôtie était excentrique, mais Annabelle trouvait que c'était la meilleur chose qu'elle n'avait jamais mangée.
En la regardant, Michel sourit.
Et Annabelle aussi, en cachant sa bouche avec sa main blanche.
Mais les larmes ne cessaient pas de couler sur les joues de la jeune fille.
Plus tard.
—Et si on faisait l'école buissonnière ? Proposa Michel, amusé.
Annabelle, surprise, le regarda.
—Ne t'inquiète pas pour ma mère, elle n'est pas là. De toute façon, elle n'aime pas se préoccuper des mes affaires, poursuivit Michel.
Elle le regardait, ne sachant pas quoi dire.
—Allez, viens avec moi, je t'aiderai à reprendre tes cours. Je n'aime pas le regard hostile de tes collègues.
Annabelle, après avoir réfléchi durant un court instant, hocha la tête et sourit.
—Youpi ! On pourrait aller voir la campagne, et aller pêcher ! Moi j'aime vraiment la pêche. On n'a pas beaucoup d'occasions pour aller pêcher dans les grandes villes, dit-il en franchissant le seuil de la porte.
Annabelle le suivit. Son sourire devint de plus en plus éblouissant.
—Tu sais où se trouve la rivière la plus proche ? Continua Michel avec beaucoup d'enthousiasme. Je pense que ma mère a apporté des cannes à pêcher avant de déménager et les a déposées dans le garage. Attends-moi, je vais aller les chercher.
Ce qu'il était bavard, ce garçon, pensa Annabelle en le regardant s'éloigner.
Journée ensoleillée. Course. Cris heureux. Pêche. Baignade. Bataille d'eau. Rires. Gaieté.
Ce fut la plus belle journée d'Annabelle.
Le soir, au bord de la rivière.
Épuisés, Michel et Annabelle s'étendirent au pied d'un arbre, près de la rivière.
Ils n'avaient pas réussi à pêcher leur proie, mais ils avaient pêché la joie.
Ils regardaient le coucher du soleil.
Des oiseaux migrateurs traversèrent le ciel bleu et rose.
—C'est le printemps, dit Michel, fasciné.
Annabelle restait silencieuse.
Elle admirait cette belle image de la nature.
Ce joli tableau sans peintre.
Horizon. Oiseaux. Soleil. Arbre. Jeune fille. Jeune garçon.
—Qu'est-ce que tu fais ? Demanda-t-elle en découvrant Michel debout, face à l'arbre.
—J'écris nos noms, sur l'arbre, pour que notre joie puisse durer pour l'éternité, répondit-il, absorbé par son travail.
—Ça fonctionne ?
—Bien sûr.
—L'arbre ne va pas mourir ?
—Non. Si je fais attention de ne pas graver un tour complet, l'arbre survivra.
D'un coup de poignet, il termina son manœuvre.
—Et il poussera avec nos vœux et notre joie, ajouta-t-il.
—Et il poussera avec nos vœux et notre joie, répéta-t-elle, à voix basse.
Quelques jours plus tard.
Annabelle, terrifiée, pleura doucement.
Ce qui lui faisait mal, ce n'était pas ses blessures, mais celles de Michel.
Pour une fois, elle ne pleurait plus pour elle, mais pour un autre.
L'odeur de l'alcool rectifié emplit la pièce. La trousse de premiers soins, celle que Michel avait sortie pour soigner Annabelle, se retrouvait de nouveau sur la table.
Mais cette fois, les rôles avaient changé.
Le jeune garçon regardait la jeune fille, absorbée dans son travail d'infirmière.
Il n'avait déjà plus mal.
—Tu n'aurais vraiment pas dû le provoquer, dit doucement Annabelle.
—Je suis désolé. Mais c'était plus fort que moi. La façon dont ton beau-père te traite me rend fou, répondit Michel, les yeux baissés.
—Tu n'as pas à être désolé.
—Mais pourquoi tu vis toujours avec lui ? Demanda le jeune homme, intrigué.
Annabelle cessa ses mouvements machinaux, et s'assit à côté de son ami.
—Je ne sais pas. Après la mort de ma mère, il est peut-être ma seule famille.
Elle s'arrêta, comme si elle était plongée dans un profond souvenir.
—Ma mère, tu vois, exerçait le plus vieux métier du monde.
Elle s'arrêta de nouveau, et dévisagea Michel, dont l'expression ne semblait pas changer.
—Un jour, elle était tombée enceinte et personne ne savait qui en était le père, continua-t-elle. Peut-être qu'elle était la seule à savoir qui il était. Pour une raison ou pour autre, elle voulait garder le bébé alors qu'elle devait l'avorter. Mais comme elle ne souhaitait pas que son enfant soit née dans un bordel, elle quitta son travail et épousa un homme qui l'aimait bien, mon beau-père.
Elle prit une grande respiration et soupira.
—Ils avaient d'abord vécu ensemble, heureux, durant quelques années. Mais le malheur frappa mon beau-père qui possédait une petite bijouterie. Une bande de voyous cambriola sa boutique, et il avait perdu presque toute sa fortune. Il était désespéré.
Sa voix devint de plus en plus faible.
—Juste à ce moment, ma mère tomba malade. Elle mourut peu de temps après. Le pauvre homme était presque devenu fou. Il passait des journées entières dans l'alcool, et il me battait lorsqu'il devenait soûl. Peut-être qu'il faisait cela pour oublier ses douleurs. Quant à moi, je n'ai jamais su qui est mon vrai père... Et je ne le saurai probablement jamais...
Sa voix se perdit peu à peu sous les sanglots légers. Michel la regardait, son cœur lui faisait mal.
—Mais tu as moi, je peux être ta nouvelle famille, dit-il doucement pour la réconforter.
—Tu peux être ma famille... Répéta la jeune fille, en le regardant avec les yeux pleins de larmes.
Le printemps laissa sa place à l'été, qui, lui, laissa la sienne à l'automne.
Les deux adolescents grandissaient, ensemble. Annabelle menait une vie double entre le vieux bâtiment en bois de son beau-père et la maison blanche de Michel.
Elle avait retrouvé le bonheur, la joie de vivre.
Elle avait aussi trouvé sa raison de vivre.
Michel.
Un soir, au près de la petite rivière.
Curieusement, ce jour-là, Michel ne disait rien. Il était si silencieux.
Il regardait l'horizon brûlé par le coucher du soleil.
Sensible, Annabelle sut que quelque chose n'allait pas.
Elle le dévisagea. Elle non plus, ne disait rien.
—Je dois partir, dit finalement Michel pour briser ce silence inconfortable.
Il n'osait pas regarder sa campagne dans les yeux.
Annabelle, assommée par cette terrible nouvelle, ne dit rien.
Son cœur, fragile, se fendit en morceaux comme une sculpture de glace.
—Mes parents ont décidé que je dois aller faire mes études universitaires dans un autre pays, continua le jeune homme, mal à l'aise.
Annabelle ne dit toujours rien. Peut-être que la pauvre fille était hébétée, ou même paralysée.
—Mais je reviendrai un jour, pour toi, poursuivit Michel en tournant la tête.
Il voyait les larmes sur les joues blanches de la jeune fille.
Il pouvait sentir son cœur saigner avec douleur.
—Ne pleure pas, je te promets qu'un jour, je reviendrai, dit-il en la dévisageant.
Et il la prit dans ses bras pour la serrer contre lui, le plus fort possible, comme s'il voulait emporter ce corps souple avec lui, dans son âme, pour toujours.
—Je te jure, quand je reviendrai, je t'apporterai plein de souvenirs. Et après, on partira ensemble. On fera le tour du monde, on pêchera auprès de la mer, et on regardera le coucher de soleil là-bas, ensemble. Dans un pays où il n'y a pas de haine, pas de violence, mais seulement de la joie. Mais attends-moi, attends que je revienne, dit-il avec une voix presque étouffée de sanglots.
—Je t'attendrai... Répondit Annabelle d'une voix inaudible.
Ce qu'il était bavard, ce garçon, pensa-t-elle, avec le cœur en larmes.
Et Michel était parti.
À cet instant, elle était seule.
Elle redevenait seule comme avant, avant son arrivée.
Toujours assise, Annabelle observait le ciel gris.
Sa vie se termina peut-être ici, avec les mémoires de Michel.
La lune s'était réfugiée derrière l'obscurité de la nuit, comme si elle ne pouvait plus voir ce cœur peiné.
Cinq ans plus tard.
Cinq années étaient assez longues pour qu'un ange se transforme en diable, ou pour qu'un diable se transforme en ange.
Annabelle était devenue un vrai ange. Ou un vrai diable.
Un soir, dans la petite maison blanche. Blanche comme de la crème fouettée.
Annabelle était assise sur un canapé chocolaté, les jambes croisées. La tête penchée, elle semblait sombrer dans un profond souvenir.
Avec l'âge, elle devenait de plus en plus belle. Mais de plus en plus froide aussi.
À l'extérieur, elle était une déesse. À l'intérieur, elle n'était qu'un cadavre sans vie.
Ensevelie par une robe de nuit en soie, cette chair mature et sensuelle pourrait affliger à n'importe quel homme le pire tourment de désirs.
Elle n'était plus une fille, mais une vraie femme. Une femme avec la beauté de l'ange et le corps du diable.
Cependant, ce qu'elle pensait n'avait rien de libertin.
Elle rêvait à un vieux souvenir refoulé, un souvenir lointain et irréel. Un souvenir qui était le dernier feu de l'espoir dans ce cœur glacé.
Un tableau sans peintre.
Horizon. Oiseaux. Soleil. Arbre. Jeune fille. Jeune garçon.
Soudain, la sonnerie de la porte perça le silence de la nuit.
Elle sortit Annabelle de ses rêveries et la ramena à la réalité.
Ennuyée, elle se leva lentement et s'avança vers la porte, glacée comme une morte.
La porte s'ouvra péniblement avec un léger grincement. Derrière elle, un visage familier apparut.
Michel.
Le cœur de la jeune femme trembla violemment.
Dès l'instant où elle aperçut ce sourire chaleureux, le froid dans ses yeux se transforma en larmes chaudes.
—Est-ce vraiment toi, Michel ? Murmura-t-elle, sa voix tremblotante.
—Oui, c'est moi, répondit le jeune homme. Je suis revenu, pour toi.
Le silence. Un silence tendre.
Soudain, Annabelle se jeta dans les bras de Michel et éclata en sanglots.
—Tu es revenu, tu es revenu... Répéta-t-elle sans cesse.
Plus tard.
D'un geste habile, Annabelle alluma une cigarette et la plaça entre ses lèvres voluptueuses.
Elle s'assit ensuite sur le lit d'un geste sensuel.
—Ainsi, commença Annabelle d'un ton calme, c'est mon beau-père qui fut le premier homme de ma vie, deux ans après ton départ. Il était extrêmement soûl et me prenait pour ma mère. Il me posséda brutalement. C'est dans les odeurs de l'alcool et de moisissure que j'ai perdu ma virginité.
Ses yeux s'assombrirent pendant un court instant, et elle reprit la parole.
—Et un jour, dit-t-elle, un homme très riche nommé John arriva dans cette ville de pauvres. Il m'a choisie pour devenir sa maîtresse, parce que je suis assez jolie à son goût.
Michel ne la regardait pas dans ses yeux même si celle-ci le dévisageait. Il sentait l'amertume dans ses propos.
—Je suis devenue sa maîtresse, son objet de désir, son jouet, poursuivit la jeune femme. Il voulait absolument me posséder, corps et âme. Pour me plaire, il m'a acheté cette maison, inoccupée depuis ton départ. Par la suite, mon beau-père est mort d'un accident de voiture. Et dire qu'il était toujours couché dans les plus sombres ruelles où les voitures ne passaient jamais.
Elle ouvrit sa bouche et laissa échapper un nuage gris de fumée.
—En veux-tu une ? Demanda-elle en saisissant la boîte de cigarettes.
Michel secoua légèrement la tête.
Annabelle hocha les épaules et continua.
—Je suis sortie d'un cauchemar pour me replonger dans un autre, dit-elle avec un ton moqueur, faisant virevolter un autre nuage de fumée. Et après, je tombe en décadence. J'ai appris à me servir de mon corps, en vendant mon âme.
Le jeune homme la regardait.
Son regard perça la surface glacée pour observer l'âme perdu qui résidait en ce corps.
—Est-ce que tu m'aimeras même si je ne suis plus une bonne fille, une fille saine et pure ? Demanda la jeune femme tristement.
—Je t'aimerai toujours, peu importe ce qui nous arriverait, répondit-il en en prenant sa compagne dans ses bras.
Nuit étoilée. Pleurs et sanglots. Paroles réconfortantes. Baisers passionnés. Désirs ardents. Murmures voluptueux. Étincelles de l'amour.
—Depuis le jour où tu étais parti, je ne cessais de t'en vouloir, chuchota Annabelle avec un ton rêveur. Pour m'avoir abandonnée.
—Je suis désolé, répondit Michel doucement, étendu près d'elle. Je regrette.
—Mais je ne pouvais pas chasser ton image de mon esprit, continua la jeune femme, rêveuse. Elle me hantait jour et nuit.
Michel ne dit rien. Il se tourna et prit son amante dans ses bras.
Il eut soudain l'envie de la serrer contre lui, comme ça, pour l'éternité.
—Alors chaque jour, je me consolais en disant que tu allais revenir me chercher, poursuivit la jeune femme avec une voix de plus en plus faible. Et après, on partirait ensemble. On ferait le tour du monde, on pêcherait auprès de la mer, et on regarderait le coucher de soleil là-bas, ensemble. Dans un pays où il n'y aurait pas de haine, pas de violence, mais seulement de la joie.
Une larme coula sur les joues de la jeune femme.
—Alors je t'ai attendu, malgré les souffrances et les douleurs...
Sa voix se perdit sous le silence, laissant place à des respirations légères et singulières.
Ce qu'elle était bavarde, cette fille, pensa Michel, en la regardant s'endormir, les yeux remplis de larmes.
Pour la première fois depuis cinq ans, Annabelle s'était endormie comme un ange, un sourire joyeux aux lèvres. Elle refaisait ses rêves d'enfance. Des rêves où l'histoire se terminait toujours bien, où le prince charmant et la belle princesse vivaient heureux pour le reste de leur vie.
Elle rêvait qu'elle avait retrouvé son prince charmant.
Le lendemain matin.
Annabelle se réveilla seule dans sa chambre.
Michel n'était plus là, à côté d'elle.
Elle n'était pas surprise. L'âge lui avait appris de s'habituer aux déceptions.
Son départ était prévisible, de toute façon, tout comme la dernière fois. Car elle ne méritait pas son amour. Une dépouille vidée de son âme ne méritait pas d'être aimée.
Elle sourit amèrement.
Au moins, il lui avait permis de vivre le bonheur une nuit de plus.
Alors qu'elle était plongée dans une vague de songe, la porte résonna violemment. Trois policiers entrèrent dans la maison.
—Est-ce que vous connaissez un dénommé John Copperfield ? Demandèrent-ils.
—Oui, pourquoi ? Répondit Annabelle.
Un doute inexplicable bouleversa son esprit.
—Dans ce cas, venez avec moi pour l'identification du corps de l'individu.
Mort. L'homme qui dominait son âme était mort.
Alors pourquoi sentait-elle cette incertitude mystérieuse qui la torturait ?
—Il est mort ? Fit-elle, sans étonnement. Que s'est-il passé ?
Aurait-il, Michel, son amant de toujours, tué cet homme pour la libérer de ses cauchemars ?
—C'est un étranger nommé Mike... Répondit le policier en fouillant dans ses mémoires.
Alors c'était donc ça la réponse. Le jeune garçon d'autrefois, pour conquérir la princesse qu'il aimait, devait abattre le méchant dragon.
Pourtant, l'étrange incertitude se transforma en peur. Cette dernière l'obsédait.
—Non, Michel, je crois, continua le policier. Oui Michel. Comme je disais, ces deux personnes mentionnées se sont tuées toutes les deux en se projetant ensemble hors d'un immeuble, hier soir, à sept heures. Nous doutons qu'il s'agit d'un conflit lors d'un partage de profit de source illégale.
Annabelle, en entendant ces mots, faillit s'évanouir.
Elle n'en croyait pas ses oreilles.
Michel, mort ? Mais c'était insensé !
Il ne pouvait mourir ! Il devait l'aimer alors qu'elle avait retrouvé sa liberté. Il ne pouvait la quitter.
Et comment s'expliquait sa visite de la nuit passée ?
—Impossible, impossible, marmonna Annabelle, affolée. J'ai vu Michel hier soir, vers minuit, il était sain et sauf. Vous devez sûrement vous tromper.
—Vous savez, mademoiselle, ajouta le policier avec mépris, qu'il y a au moins une vingtaine de témoins affirmant avoir entendu crier le jeune homme "tu m'as volé la chose la plus précieuse de ma vie !" avant de se jeter par la fenêtre avec John. C'est évident qu'il s'agit de criminels qui ne se sont pas entendus et qui se sont tués lors d'une bagarre.
—La chose la plus précieuse de ma vie... Répéta Annabelle, perdue.
Un mois après.
Le coucher du soleil incendia l'horizon avec une nostalgie mélancolique.
Un tableau sans peintre.
Horizon. Oiseaux. Soleil. Arbre. Jeune fille.
Il n'y avait plus de jeune garçon.
Annabelle attendait toujours, près de la rivière où coulaient leurs souvenirs.
Michel avait réellement trépassé. La vie de celui qui l'aimait s'était éteinte pour la libérer de ses cauchemars.
Elle savait qu'elle n'avait pas imaginé la visite de Michel. C'était trop réel, ce bonheur, pour être faux. Elle savait qu'il était revenu pour elle, pour la voir, pour la consoler, pour lui rendre sa raison de vivre. L'âme de son amant ne l'avait jamais quittée, tellement leur amour était profond, tellement leur amour était passionné.
Elle regardait le vieil arbre qui grandissait, qui se solidifiait.
Il avait poussé, mais sans leur joie.
Elle effleurait avec sa main blanche les vieilles lettres presque illisibles.
Annabelle et Michel.
Soudain, elle se retourna.
Au bord de la rivière, une ombre apparut, et s'avança lentement vers elle.
—Michel, es-tu revenu, pour moi ? Murmura Annabelle avec une voix si faible qu'elle-même, ne pouvait entendre.
(Fin) | | |
| . Voir tous les commentaires et/ou en poster un (15) | | Merci pour cette belle histoire. Posté par neige le 06/04/2008 09:42:20 | Il s'agit d'une histoire qui est venue me chercher ...très loin.. là où je croiyais avoir enterrer de vieilles mémoires égarées...
Tu m'as aider.. à travers tes phrases.. .à trouver un peu de réconfort..
Ce texte est si beau. | | Re: De l'amour à l'au-delà Posté par smileyman le 05/05/2006 14:20:50 | vraiment parfaite ton histoire!!!tu écrit tré bien!!vraiment continu!!!!!tu as un DON!!! et a kan le prochaine article???je ne sais pas koi te dire dotre a par ke tu ma fait passer un bon moment en compagnie d'annabelle et de michel!! et encore bravo!!!!!
bonne continuation et jattend ta prochaine histoire avec imptiente???!!!!
a+ | | Re: De l'amour à l'au-delà Posté par athéna le 04/05/2006 23:43:34 | vraiment sublime... très belle, bien écrite, tu fait ressentir toute sorte de sentiments... très beau texte... franchement bravo | | Re: De l'amour à l'au-delà Posté par bibikaimetak le 02/05/2006 19:58:01 | Ouahou. Trop belle histoire, émouvante, épatante, un chef d´oeuvre. Franchemant BRAVO pr ce que tu as écrit | | Re: De l'amour à l'au-delà Posté par melo69100 le 30/04/2006 14:47:44 | Je trouve cette histoire vraiment belle,Bravo , rien d'autres à dire à part Bravo !! | | . Voir tous les commentaires et/ou en poster un (15) |
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