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Évraffanculo  : Autopsie d'une affaire de l'état football

Trop consensuel Téléfoot ? En une séquence-choc Patrice Évra a bousculé l'image proprette de la grande messe dominicale de TF1. Équipé d'un fusil à quatre coups il a dézingué Luis Fernandez, Bixente Lizarazu, Pierre Ménès et Rolland Courbis. Une attitude choquante  ? Oui, mais beaucoup moins que la réaction d'une horde journalistique dressée comme un seul homme... Contre un seul homme.


"Il faut prendre les matchs les uns après les autres", "Bon ça fait toujours plaisir de marquer, mais l'important c'est la victoire de l'équipe", "C'est le choix du coach je le respecte, à moi de le convaincre de m'aligner d'entrée de jeu", "À partir de là c'est de bonne augure... ", Autant de discours sous forme de soupe tiède dont nos amis footeux nous abreuvent semaine après semaine. Les notables se désolent des millions gagnés par des hommes au vocabulaire si restreint, les journalistes déplorent l'absence de grain à moudre, les supporteurs pointent un manque de personnalité et de spontanéité. Puis parfois surgit une parole moins convenue, des propos témoignant d'un soutien à une cause ou d'une opposition à une autre. Et alors tout s'effondre  : les trois types de protagonistes susmentionnés condamnent illico les prises de position de celui ayant eu l'outrecuidance de sortir des clous. Clash, dérapage, inconscience, bêtise, le choix des termes est volontairement réducteur pour qualifier les dires du contrevenant.
Entendons-nous bien  : que les cibles prises à partie (au nombre de quatre dans l'affaire qui nous intéresse) apportent leurs réponses cinglantes ou placent une contre-attaque bien sentie est tout à fait naturelle, mais nous assistons à bien plus que cela. Pour paraphraser le regretté Coluche, nous nous trouvons face à " des milieux autorisés qui s'autorisent à penser " et voudraient imposer ce que l'on a le droit de penser.


Une colère venue de loin

Ce phénomène touche autant le domaine sportif que celui de l'art ou du journalisme politique, eux aussi très friands de ces " dérapages " qui constituent le point de départ d'une nouvelle séquence médiatique. Sorte de fil rouge équivalant à ce que l'on nomme un arc dans les séries télévisés, le vecteur d'une intrigue s'étalant sur plusieurs épisodes. Ainsi les jours suivants la " déviance " chaque interviewé du secteur concerné sera sommé de s'exprimer sur la question... Et gare à lui s'il décide de se positionner dans le sens contraire au vent.
Que Patrice Évra a-t-il donc dit de si grave  ? Il a opté pour une forme de raisonnement assez courante  : critiquer la critique, partir du principe (un brin simplet certes) selon lequel ceux qui dénoncent son comportement et/ou ses performances sportives n'ont pas ou n'auraient pas fait mieux voire ne valent rien. Chaque cible est attaquée sur un point précis  : Courbis sur sa grande gueule (" Il ne fait que parler "), Ménès sur son absence de pratique du football et vaguement son physique (" Le jour où il saura faire huit jours j'arrête ma carrière "), Fernandez sur son deuxième passage au Paris SG entre 2000 et 2003 (" Il n'a fait que manger des Chupa Chups et danser la maracana ") et Lizarazu sur ses antécédents sportifs et un éventuel antagonisme personnel (" C'est le seul qui ne me serrait pas la main lors des rassemblements des Bleus "). Le tout parachevé par un regroupement de tous ces empêcheurs de jouer en rond sous le qualificatif de " clochards " et de " parasites ".
Un règlement de comptes qui ne doit rien au hasard. Au moment même où les Bleus sont en net regain de forme (trois victoires consécutives et treize buts inscrits).
Depuis l'épisode du bus lors de la coupe du monde 2010 et son embrouille tragi-comique avec Robert Duverne, Évra a symbolisé la piètre mentalité d'un groupe de joueurs déconnecté de son public et du vrai labeur. Après une suspension de plusieurs mois en tant que leader supposé des " mutins de Knysna ", l'arrière gauche a réintégré son poste en sélection, aussi bien sous l'ère Laurent Blanc que sous celle de Didier Deschamps. Mais l'heure du pardon n'est pas venue, la majorité des consultants sportifs persistant à pointer Évra comme emblème des mauvaises performances tricolores. Si encore le joueur était mis au ban sur ses seules performances sportives, mais la cabale ne s'arrête pas là... Le point de rupture intervient au lendemain du laborieux Biélorussie-France de septembre dernier. Lamentables en première mi-temps, les bleus se remobilisent et inscrivent quatre buts au retour des vestiaires. Laissé sur le banc ce soir-là, l'ancien capitaine du flop de 2010 sera pourtant au cœur de toutes les discussions les jours suivants. La cause  ? Sa prise de parole fédératrice à la mi-temps, unanimement reconnue et saluée par ses coéquipiers. Évra auteur d'un acte salutaire  ? Impensable. Et même insupportable pour la presse spécialisée. Venant de n'importe quel autre joueur l'initiative aurait été acclamée, on se serait réjoui qu'un ancien de la maison joue enfin un rôle de guide, que cette équipe au manque de caractère maintes fois éreinté ait trouvé un socle sur lequel se bâtir. Mais l'identité du détonateur pose bel et bien problème. Jugez plutôt cet extrait de l'édito de Gérard Ejnès dans le France Football daté du mardi 17 septembre 2013 (intitulé " l'Evra m'en tombe " sic)   : " Il y a beaucoup plus de chances de voir une équipe française remporter une Coupe d'Europe que de voir l'équipe de France décrocher la timbale au Brésil ou même de figurer dans le dernier carré. À supposer bien sûr qu'elle traverse l'Atlantique. Son dernier match est un concentré de toutes ses faiblesses et de tous ses problèmes, même si victoire il y eut. La première mi-temps fut même la plus lamentable de l'ère contemporaine. Ce n'est pas le plus grave. Alors c'est quoi le plus grave  ? Mais de nous faire croire que Patrice Évra a sauvé la patrie à la mi-temps avec des mots d'une totale banalité du genre'Oh les gars, on y va hein  ? On réagit'', que certains voudraient faire entrer dans l'anthologie des plus belles phrases du football français. Là, franchement, on serait carrément pété de rire si derrière tout ça l'association des anciens de Knysna n'était pas à la manœuvre.  " Le plus grave serait donc à ses yeux, et à ceux d'une large proportion d'analystes tant son opinion fut relayée dans l'Equipe et autres médias traitant de foot, que l'on puisse dégager des aspects positifs au caractère du défenseur de Manchester United. À la limite une défaite de l'équipe de France valait mieux, on aurait eu alors tout loisir de dénoncer les propos de l'impétueux. Gageons qu'au lieu de les considérer minimes et non influents, on les aurait qualifiés de castrateurs et de contre-productifs pour un jeune groupe n'ayant pas besoin de pression supplémentaire.


Réflexe de caste

Les dés étaient pipés, le jugement dénué d'objectivité. Désormais la cible privilégiée est devenue sniper. Après avoir rongé son frein pendant un flottement nous ayant presque fait douter de la présence des Bleus en barrages, l'homme aux 52 sélections a donc déversé sa bile sur quatre parmi les plus populaires dissecteurs du monde du ballon rond. En excluant lui aussi toute part de discernement. Logique quand un affect répond à un autre. Depuis, le déferlement des consultants à son encontre n'en a été que plus exponentiel  : une vraie levée de boucliers. Parfois nuancée, à la façon d'un Vincent Duluc dans son billet de l'Equipe datée du mardi 22 octobre 2013, se réjouissant d'avoir dû faire face à un discours éloigné des canons habituels. Mais, sous peine d'être accusé de traîtrise envers sa corporation, le spécialiste des bleus au quotidien ajoute que l'arrière gauche livre " un mauvais combat, au mauvais moment et avec une absence de lucidité.  " Parler sans platitude oui, contre la confrérie non. Véritables procureurs généraux, ces mêmes journalistes " extérieurs " à l'assaut porté revendiquent une défense de l'honneur d'hommes ayant (pour deux d'entre eux seulement) écrits des belles pages de l'histoire du football français. Où est donc le lien avec les reproches formulés à leur encontre  ? Effectivement, Luis Fernandez a été 3e de la coupe du monde 1986 et a remporté la Coupe des Coupes comme entraineur en 1996. Mais la vérité historique oblige à notifier que son retour au PSG au début des années 2000 a été loin d'être brillant (une finale de coupe de France perdue, une modeste 4e place en championnat en 2002 suivie d'une 11e place en 2003) et émaillé de polémiques (ses danses provocatrices face à l'OM, ses pitreries en conférence de presse, ses accrochages avec les arbitres). Aussi son niveau général en tant que technicien a déjà largement été mis en cause, ses longues périodes sans poste et son absence de direction d'un grand club européen l'ont enfermé dans une classe d'entraineurs de seconde zone. Même constat pour Rolland Courbis, personnage facétieux et pagnolesque à la popularité aussi immense que son palmarès est mince. Mettre en doute ses facultés à juger du niveau d'un joueur est-il un crime  ? Quant à Lizarazu, comparaison n'est évidemment pas raison, mais si l'on ne comptabilise que les distinctions individuelles Patrice Évra rafle la mise (deux fois élu meilleur arrière gauche au monde contre une seule pour le basque, égalité dans leurs championnats respectifs avec quatre sésames de meilleur défenseur du championnat anglais pour l'un, allemand pour l'autre). Au vu de ces trophées, la reconnaissance internationale du capitaine du périple sud-africain est bien réelle. Aurait-il dépareillé au sein de la génération dorée Mondial 1998-Euro 2000  ?
Passons sur la pique digne d'une cour de récréation envers Pierre Ménès. Le poil à gratter du Canal Football Club, n'y allant pas avec le dos de la cuillère avec les équipes et joueurs qu'il n'apprécie pas, doit être rodé aux reproches liés à son absence de pratique au haut niveau.
Reste que s'il fallait avoir été un pratiquant émérite d'un domaine pour être autorisé à l'analyser Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach n'aurait pas fait long feu dans le journalisme politique.
Restons donc sur le fond des griefs perpétrés par l'ancien monégasque  : un manque d'objectivité sur ses performances sportives et une diffusion erronée de son image dans l'opinion publique  : " Eux, même si tu mets Rama Yade arrière gauche ils vont dire qu'elle est meilleur qu'Évra ", " C'est eux qui ont créé de toutes pièces ma soi-disant mauvaise image auprès du public. Après Knysna j'ai mangé en plein Paris et je n'ai jamais eu de problème avec les gens.  "


Paradoxe d'une éventuelle sanction

N'en déplaise Évra avance des arguments. Drôles  ? Parfois. Maladroits  ? Sans doute. Inappropriés  ? En partie. Détestables  ? En un sens oui. Cela ne doit pas pour autant exonérer ses détracteurs à lui répondre sur le fond. Il faut d'ailleurs saluer la pertinence des quatre personnes visées qui ont soit réagis avec humour (Courbis, Ménès) soit replacés le débat sur le seul prisme du terrain vert (Fernandez, Lizarazu). Parmi les autres consultants, il n'y a guère eu que Christophe Dugarry (Canal +) pour modérer le climat de lynchage médiatique ambiant.
La liberté d'expression implique AUSSI que l'on puisse dire des conneries. Le droit de réponse implique de démontrer en quoi elles sont irrecevables.
En lieu et place, la volonté dominante consiste à réclamer des sanctions envers le Mancunien. En l'occurrence le priver de futures sélections avec l'équipe nationale, étant entendu que son club se fiche éperdument de ce psychodrame. Nous sommes bien loin des ressentiments manifestés à une époque par un Christian Karembeu ne se sentant " pas si français " ou un Nicolas Anelka réclamant une position de génuflexion de la part d'un Jacques Santini alors aux commandes des A. Ni équipier actuel insulté, ni équilibre d'équipe mis en cause. Au contraire, sur les dix-sept minutes que dure le montage de cette interview plus de la moitié est consacrée à des déclarations enflammées pour le maillot bleu et ceux l'arborant. N'y a-t-il rien de paradoxal à vouloir sanctionner un homme aussi impliqué dans la cause nationale  ? La FFF devrait trancher dans le vif là où des brillants capitaines de route comme Alex Ferguson, Blanc ou Deschamps n'ont pas cru bon de se passer de ses services  ? Les paroles plus gravement condamnables que les actes  ?
Un autre facteur pèse dans le balance  : qui mettre à sa place en cas de suspension  ? Gaël Clichy ne franchit pas le palier international, Lucas Digne est encore tendre et actuellement barré au Paris SG, Jérémy Mathieu ne jure plus que par un poste axial etc
Le profil recherché est celui d'un joueur à la fois doué techniquement, expérimenté, apte à rassurer une défense fortement remaniée à chaque rencontre, prompt à apporter le danger devant.
Cet oiseau rare n'a malheureusement pas encore émergé dans le périmètre. Mais un homme possède plus ou moins les qualités mentionnées. Il se nomme Patrice Évra.
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Re: Évraffanculo  : Autopsie d'une affaire de l'état football
Posté par warrior le 17/11/2013 13:17:08
Merci, c'est dur d'avoir des coms, alors quand ils sont bons c'est d'autant plus rassurant.
Re: Évraffanculo  : Autopsie d'une affaire de l'état football
Posté par laxe le 17/11/2013 05:34:34
Excellent article!!! Vraiment!
Mesuré, plein d'analyses et en surplus de l'ironie...

Bravo Monsieur.
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L'auteur : Emilien Bartoli
41 ans, Toulouse (France).
Publié le 01 novembre 2013
Modifié le 27 octobre 2013
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