| L'attente d'un rêveur perduSuis-je le seul à divaguer lorsque j'attend quelque chose qui n'existe peu etre pas?La décadence est la grande minute où civilisation devient exquise. Il paraît que nous sommes décadent. Théoriquement, là, maintenant, ça devrait exquis. Moralité : j’aurais mieux fait d’être prêtre.
Finalement, l’extase avant la fin, c’est aussi faux que la soupe fait grandir.
En fait, je crois que nous sommes tous conscients de cette supercherie et c’est pour rester digne que l’on préfère tout surjouer ; trop rire, trop pleurer, à coté de nous la Comédie Française est d’un naturel inénarrable…Serai-je le seul à ne plus m’émouvoir devant une conne qui chiale ?
Ces réflexions me viennent alors que j’attends dans un restaurant un ami qui partagera sûrement mon avis, si tant est que ça l’intéresse.
L'évasion forcée
Ce lieu est une catastrophe à lui tout seul et ses occupants illustrent parfaitement ma théorie très personnelle sur la décadence du monde évoquée ci-dessus. Il pleut dehors et l’eau ruisselle sur les vitres bien trop parfaites pour que le moindre petit obstacle puisse entraver l’écoulement inévitablement vertical des gouttes de pluie. Par contre, le contact de l’eau sur le goudron brûlant dégage une dense vapeur qui elle, au contraire, invite mon imagination aux divagations les plus folles. J’ai l’impression que de cette vapeur à tout moment peut surgir un type genre highlander ou alors Betty Boops en mobylette. Somme toute, c’est ça l’avantage des brefs déluges d’été dans les grandes villes. Ca fou probablement la merde et on peut vite choper un rhume parce qu’on avait pas prévu la pluie mais d’un autre coté, il y a des trucs un peu bizarre qui se passent et vous avez l’impression d’être les seuls à les voir. Moi qui ai marché environ vingt minute pour venir jusqu’à ce restaurant, j’ai vu des trucs proprement hallucinants. C’est sans doute grâce à la vapeur qui déforme les images que j’ai vu pour la première fois de ma vie une voiture brûler ou encore deux jeunes racketter une petite vieille…Marrant. En plus, dans les grandes agglomérations polluées, le ciel est enrobé d’une espèce de couche orangeâtre insolite qui donne au racket de la petite vieille un petit coté Tex Avery. Evidement, comme tout n’est jamais rose, lorsqu’il pleut, mon costume est de ce fait constellé de petits cratères ocre et j’ai l’air d’un dalmatien transgénique.
Pour moi, observer tout cela depuis l’intérieur, bien installé dans un fauteuil à la mode, c’est un supplice qui engendre une frustration comparable à celle d’un gosse qui voit une belle flaque de boue bien visqueuse et qui se rend compte qu’il est bien habillé ou encore que sa mère est dans le coin, ou pire, les deux. Et puis soudain, le supplice devient brutalement total car je me rend compte qu’un orage gronde au loin juste au moment où le soleil vient d’être démobilisé. Le décor change sous mes yeux sans que je puisse aller voir si, qui sais, Babar n’est pas au coin de la rue ce coup-ci…En plus, je me suis toujours bien entendu avec l’orage, quand il gronde, ma mère me faisait toujours rentrer, donc je grondait aussi ; on est sur la même longueur d’onde. D’ailleurs, je suis persuadé que s’il gronde encore aujourd’hui, c’est parce que je suis en train de lui poser un sacré beau lapin (Post-Scriptum avant la fin du scriptum : NON, je ne me drogue pas !).
Ca m’énerve de penser que si ça se trouve, je rate Babar à cause de ce crétin qui est encore une fois en retard. Du coup, je préfère regarder ailleurs. C’est peut-être un mauvais choix en définitive car le spectacle que je découvre est dramatique. Et vas-y que je rigole, que je fais genre je m’amuse…Connasse, tu trompes que toi. Le cadre du spectacle est trop plein et enfumé, comme il doit souvent l’être. On y respire à plein poumon un air étonnant qui mélange avec dextérité sueur et tabac froid. Le restaurant s’appelle le « Water Bar » et c’est très branché. Il paraît que l’eau que l’on boit est mauvaise pour nous et le concept ici, c’est de faire boire, entre autres alcools, de la vraie eau qui vient du Groenland ou d’un truc comme ça. D’un endroit où l’on s’y connaît en eau en tout cas. Le seul problème de se restaurant à mon avis, c’est que si l’on veut respirer de l’air pur, il fait aller dans un autre restaurant…De l’eau vraie et de l’air faux : l’un dans l’autre, il n’y a que notre portefeuille qui y perd. Pou couronner le tout, la musique est bruyante, juste assez pour que l’on ne se préoccupe pas du contenu de son assiette. A croire que c’est étudié pour.
Pour être bref, je ne vous conseille pas cet endroit.
Celui qu'on attend sans l'attendre
L’ami que j’attends s’appelle Samuel et il est toujours en retard. Ce qui est drôle, c’est qu’il est constant dans sa plaidoirie une fois arrivée l’heure des explications : « le circulation est chaotique, faut comprendre », surtout lorsqu’il est à pied et qu’il croit que personne ne le sait, ce qui est mal évaluer mon potentiel de langue-de-putisme quand je m’y mets. Aujourd’hui, je pense qu’il va venir en Vespa et il fait bien puisqu’il pleut, lui qui a des tendances suicidaires…Moi, je l’attend comme une femme de marin qui attend le retour du bateau, sauf qu’on est pas marié, que je suis pas une femme et qu’on n’est pas homos. J’ai hâte de lui exposer ma théorie sur la décadence et l’extase.
Ca fait déjà vingt minutes que je suis là à l’attendre, lui, ou peut-être Cendrillon, Blanche-neige et la fée Clochette qui jouent au golf je sais plus trop, à partit de 10 heures du soir, faut plus rien me demander. Attendre Samuel, ça fait partie du jeu, du personnage, il aime ça. C’est sa méthode pour créer l’illusion dont lui seul est dupe que son existence à un moment donné à un but, voire un sens selon l’humeur du jour. Ca fait longtemps que j’ai compris que si c’était le cas, ça se saurait. Ca fait aussi longtemps que je lui explique mais j’attend toujours, je dois pas être convaincant…Dans ces cas là, il faut tolérer, ou mieux, s’en foutre.
Je ne sais pas pourquoi il m’a donné rendez-vous là, dans ce resto où tout est a base de flotte. Je vois d’ailleurs mal le lien entre la flotte et le rouge omniprésent qui est manifestement la ligne directrice de la décoration locale. Lampes rouges, banquettes rouges, couverts rouges, tables rouges…Même les clients ont les yeux rouges. Je suppose qu’ils manifestent ainsi leur attachement au lieu. Ca ne désempli pas et, alors que les aiguilles de ma montre continuent de tourner à leur cadence blasée, la distance vitale au claustrophobe que je suis qui sépare mon crâne de l’insaisissable plafond de fumée s’amenuise. Astérix avait raison, c’est plutôt oppressant, cette sensation que le ciel nous tombe sur la tête. Devant moi, au-delà de ses masses informes qui sont sûrement d’autres clients, il y à un comptoir de zinc, c’est à la mode le zinc. L’ensemble est articulé autour d’une colonne centrale et l’on entend, entre les conversations sans intérêt d’individus à mon sens déjà morts, les cris stridents de la machine à café. Seule sur son comptoir, elle me parait condamner à perpétuité à faire machinalement des cafés et pour cause, c’est une machine. Si il n’y avait ce détail, je serai bien allé la réconforter. Mais de nos jours, quand on propose un mouchoir à une machine à café, on passe pour un con. C’est terrible le racisme.
Alors que je contemple le spectacle désolant de l’intolérance et de la solitude, Samuel arrive enfin. Une demi-heure de retard, il fait des progrès, c’est incontestable. | | |
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