| Le 21 mai 2003
Je veux vous raconter une histoire qui n'a pas toujours été drôle à vivre. Cette histoire, c'est la mienne: elle commence à ma naissance. Mais pour abréger, je débuterai par le point de non-retour, le jour où j'ai failli perdre la vie et où tout a changé pour moi: j'avais 17ans.
Je veux vous raconter une histoire qui n'a pas toujours été drôle à vivre. Cette histoire est la mienne, elle commence à ma naissance.
Mais pour abréger, je débuterai par le point de non-retour : le jour où j'ai failli perdre la vie et où tout à changé pour moi: j'avais 17ans.
Je n'oublierai jamais ce jour-là, il est gravé dans ma mémoire comme le sont les écrits des Sumériens sur la roche. C'était le 21 mai 2003, une très belle journée de printemps, le soleil brillait, les oiseaux chantaient, j'étais en première année à la fac en sciences de la terre, une discipline que j'avais choisie. Dès mon plus jeune âge je rêvais d'être géologue, d'être comme mon modèle Haroun Tazief.
J'adorais mes études, un peu moins la routine qui s'est installée dans ma vie, mais je la préférais à l'inévitable chaos qui devait la remplacer par la suite.
Ce jour, comme à mon habitude, je me suis levée à 5h30 du matin, je me suis préparée comme pour une journée normale, j'ai couru pour mon train, j'ai assisté à mes cours jusqu'à 14h30, c'était la fin de ma journée; étrangement je n'avais nullement envie de rentrer chez moi, malgré la fatigue énorme que je ressentais. Les examens approchaient et du coup tous mes amis révisaient leurs cours et je ne voulais pas les déranger, je me suis donc résolue tant bien que mal à rentrer, j'ai pris le train. Quand je suis arrivée dans ma ville, mon envie d'éviter ma maison s'est accentuée, j'ai appelé tout le monde mais ils étaient tous occupés, alors je n'avais plus qu'une seule alternative : me rendre à mon domicile et dormir: il était 16h00.
Vers 18h00 la maison s'était vidée, et oui, il se trouve que je suis la seule dans ma famille à ne pas avoir de vie sociale, de plus, ma mère était de garde et j'avais la lourde tache de la remplacer, c'est à dire préparer le dîner et m'occuper de tout.
Vers les coups de 20h00, alors que je me battais contre une irrésistible envie de dormir, je me rendais compte qu'il était l'heure de me mettre aux fourneaux. En me dirigeant vers la cuisine je sentis une légère secousse. Je savais que je vivais dans une ville connue pour sa séismicité plus ou moins élevée et je me suis dit que ça allait passer, que je devais juste me mettre sous l'encadrement de la porte, mais à ce moment là, alors que j'étais précisément sous l'encadrement de la porte de la cuisine, la secousse s'amplifia, je sentis le sol qui allait se dérober sous mes pieds et je me voyais déjà morte, tombée à l'étage au- dessous. Dans la cuisine c'était la cavalcade: j'avais l'impression que tous les objets s'étaient animés, ils valsaient tous dans la cuisine, s'entrechoquaient, la vaisselle tombait de partout, j'avais peur, j'étais terrifiée, je ne voulais pas mourir toute seule dans cette maison vide.
Alors que je n'avais plus aucun espoir de m'en sortir, le séisme s'arrêta, j'étais saine et sauve et je n'avais plus qu'une seule envie: sortir de cette maison en ruines qui risquait de s'écrouler d'un instant à l'autre.
J'ai attrapé le téléphone, des savates et me suis dirigée vers la porte, mais elle refusait de s'ouvrir, je n'avais plus qu'une seule solution: sortir par la fenêtre de la salle de bain qui donnait vers une sorte de terrasse qui menait à son tour vers les escaliers. Je savais que je devais faire vite, l'endroit au monde où je me sentais le plus en sécurité risquait de devenir mon tombeau.
En enjambant la fenêtre j'entendis la voix de mon frère qui m'appelait, la vie m'appelait, suivre sa voix était devenu une sorte de quête vers la vie, jamais auparavant je n'avais été aussi heureuse d'entendre sa voix.
Arrivée jusqu'à lui, il m'aida à enjamber l'écart qui se trouvait entre notre maison et les escaliers.
Je ne sais pas comment j'ai dévalé les escaliers; je me suis éloignée le plus possible du bâtiment et là j'ai essayé d'appeler les membres de ma famille mais les communications ne passaient pas.
A l'allégresse d'être toujours en vie suivait l'inquiétude de ne pas savoir où étaient les membres de ma famille et s'ils étaient toujours en vie: nous venions de traverser la plus grande catastrophe naturelle que la ville ait connue depuis des siècles.
Ils arrivèrent tous l'un après l'autre et dès que je les voyais je devais les toucher pour être sûre que c'était la réalité qu'ils étaient bien là devant moi et que je ne rêvais pas.
Depuis ce jour où tout avait changé nous étions des SDF: nous déménagions chaque année, jusqu'à il y a deux ans où nous nous sommes établis pour de bon, toujours dans la même ville, mais nous avons tous changé.
Mon père s'est réfugié dans l'alcool et son travail, ma mère n'a jamais autant travaillé de sa vie et nous avions l'obligation d'aller de l'avant, d'avancer; les épreuves que ma famille a traversé par la suite étaient d'une dureté insondable, moi-même je ne suis plus comme avant, je n'accorde plus d'importance aux choses matérielles, et je ne me sens en sécurité nulle part ni avec personne.
Après le séisme j'avais une peur horrible de perdre les gens que j'aimais: dès qu'ils tardaient un peu je m'empressais de les appeler pour me rassurer.
Mon comportement à aussi changé. Je me suis réfugiée dans mes études et j'ai même excellé dans mon domaine, je me disais que si j'arrêtais d'étudier je sombrerais dans une dépression interminable. Certes je suis passée à côté de plein de choses, je me suis renfermée sur moi-même et j'ai désappris à faire confiance à moi-même et aux autres.
Mais voilà: j'ai fini mes études je suis devenue géologue: j'ai réalisé mon rêve mais je ne suis pas heureuse pour autant, il me manque toujours quelque chose, un je ne sais quoi qui rendrait la vie plus supportable.
Ce séisme avait causé la mort de nombreuses personnes, d'enfants, de gens innocents qui regardaient tout simplement un match de foot chez eux ; je me suis toujours demandé pour quelle raison j'avais survécu alors qu'un père de famille qui travaillait dans notre bâtiment était mort, laissant une veuve avec deux enfants. Je ne me l'explique pas et je ne sais pas si je pourrai l'expliquer un jour. | | |
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