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Le manoir

Après une premièe version, j'avais promis une version au goût du jour, une version plus évoluée... La voici, en espérant que cela vous plaira...


15ème siècle

" Je rêvais depuis longtemps d'avoir des enfants, et puis un beau jour, ma femme mit au monde une splendide petite fille, Mathilde, dont la beauté s'accentuait jour après jour, année après année. On fit d'innombrables tableaux de cette " déesse vivante ", comme ma femme et moi aimions la surnommer, où elle était souvent vêtue d'une robe blanche. Le peuple en tira le surnom de " la Dame Blanche ". Elle n'avait qu'un seul vice : sa gourmandise des hommes, qui la conduisit à sa perte. De tous ceux qu'elle avait connu, aucun ne soufflait mot ses agissements. Mais un funeste jour, des jumeaux me rapportèrent les folies de ma fille. Ivre de rage et de jalousie, je fis emmurer vivante Mathilde du Fjord Glacé, le 24 juin 1056. Au moment de la pose de la dernière pierre, la Dame Blanche maudit le manoir ainsi que tous les jumeaux qui courraient le risque de s'y aventurer. Six jours plus tard, ses délateurs étaient morts. "

Chroniques de Svein Haraldsson du Fjord Glacé, seigneur régnant sur le fief d'Hafrsfjord.


17ème siècle

" Comme on étaient ménestrels, mon jumeau et moi, on gagnait notre vie en allant de château en château. On n'aurait jamais dû s'arrêter dans ce manoir, en cette nuit de 24 juin 1566. Brusquement, mon frère est tombé au sol. Je crois que j'ai entendu l'agresseur murmurer : " Une tombe est construite dans ce manoir maudit et elle sera veillée jusqu'à la fin des temps ". Pendant que mon frère agonisait, il m'a semblé que tout devenait blanc, et puis ça été le trou noir. Moi aussi j'ai été agressé, et je ne sais pas trop comment j'ai survécu. Et croyez bien que je ne comprend toujours pas ce qui nous est arrivé. "

Le Criquet, ménestrel. Histoire issue de la tradition orale.


20ème siècle

Le bruit des moteurs de l'avion me berce doucement. Tout en somnolant, je réfléchis à ma chance inouïe. Il y a quelques temps, j'ai gagné, grâce à un concours, un voyage en Norvège avec trois copains. Y a Jéjé et Titou, les jumeaux, et bien sûr Sébastien, mon meilleur ami.
Donc, en roupillant, je songe à ma bonne étoile. Un drôle de concours, et sans règlement explicite avec ça ; un départ précipité et un séjour de deux semaines avec un stage de pêche dans les fjords, en Norvège. Nous allions être nourris et logés dans un manoir au nord du pays habité par...
" Hé ! Phil ! Réveille-toi, me susurre Titou de sa voix tonitruante dans les oreilles. Si on reparlait un peu des deux légendes qu'on a trouvées sur notre château ? "
J'approuve d'un "d'accord ", dans un bâillement à me décrocher la mâchoire, tandis que mes yeux encore endormis admirent un portrait de Mathilde posant devant le manoir de l'Aigle.
Et nous voilà nous remémorant les deux histoires. Petit silence pesant : quelque peu bizarres ces légendes ! " Comme toutes les légendes, somme toute " que je me dis tout en réprimant une nouvelle crise de bâillement.
Je lève enfin les yeux vers mes amis. Facilement impressionnables ceux-là : le regard dans le vague, la bouche un tantinet crispée, ils gardent leur orifice buccal clos. Un sourire aux lèvres, que j'ai, moi, parfaitement détendues, j'avance alors : " On est en juin, et dans une semaine et des poussières, ça sera le 24. "
Sébastien est un écossais de souche, et donc superstitieux, comme la plupart de ses compatriotes. L'air grave, il nous avoue enfin son inquiétude, mais Jéjé et Titou, sortant de leur rêverie, lui rient au nez : " Ben voyons ! Hé ho Coco, ce ne sont que des légendes, déclare Jéjé. Faudrait pas qu'elles te ternissent le séjour ! Haut ton cœur moussaillon ! "
Le vol se poursuit dans un concert de ronflements ponctué de grognements, et, trois heures plus tard, l'aéroport de Kristiansand est enfin en vue. C'est un bel atterrissage, mon premier. Moins 20° au soleil et nous ne sommes qu'au sud de la Norvège ! Je serre les fesses rien qu'en y pensant.
A peine descendus de l'avion, nous voilà nous précipitant à la gare, courant pour attraper notre train pour Tromsö. Mama mia ! Plus de huit heures de locomotive à travers un paysage heureusement féerique.


D'immenses plaines enneigées parcourues par quelques loups, des forêts de sapins, des falaises majestueuses que ronge une mer glaciale défilent devant nos mirettes éblouies avant d'arriver à destination.
Nous descendons sur le quai. Passe alors une heure d'attente. Nous nous apprêtons à nous rendre à l'accueil pour la dixième fois lorsque nous apercevons un homme accourir vers nous. Le teint verdâtre, une redingote, un haut-de-forme, voilà vraiment un étrange bonhomme qui me fait penser au croque-mort des bandes dessinées de " Lucky Luke ". Il se dit notre porteur et nous conduit vers son véhicule noir d'ébène. Un peu effrayés, nous nous décidons à monter, et bientôt, nous arrivons en vue d'une grande et sinistre demeure. Je crois que voilà notre auberge. Le soleil décline à l'horizon et les tours du manoir se découpent, menaçantes, dans la pénombre naissante.
Intimidés, nous autres grands gaillards, nous avançons avec nos encombrants bagages vers la lourde porte de bois où le propriétaire nous attend. Je remarque que ses habits sont en tous points semblables à ceux de notre porteur. Ce nabot doit être son domestique puisqu'il se charge d'emmener nos valises à nos chambres, non sans peine. Après les salutations et les présentations - le propriétaire parle d'ailleurs un français impeccable, heureusement pour nous qui ne causons le norvégien et qui balbutions l'anglais- nous sommes invités à entrer.
S'écartant pour nous livrer le passage, la haute porte de chêne s'ouvre. Pénétrant dans l'inquiétante demeure, je sens un souffle glacé et une série de frissons incontrôlables me parcourir. Le hall, gigantesque, plongé dans une demi-obscurité, est en fait une galerie de portraits des comtes, ducs et autres seigneurs qui ont habité ce manoir avant notre amphitryon.
En passant devant le tout premier tableau, représentant Svein Haraldsson du Fjord Glacé, le fondateur de la demeure, je tourne la tête et le vois : il me semble, l'espace d'un instant, que le figurant a remué les lèvres et cligné de l'œil. Effrayé... Non... Je rectifie... Surpris, je m'empresse de rejoindre le groupe, entraîné par le comte. Après une marche interminable à travers les pièces, M. Du Fjord Glacé nous invite à dîner.


" Pour commencer, voici une tournée de petits fours au caviar, annonce le cuisinier. "
C'est un repas grandiose, nous sommes traités tels des coqs en pâte. Mais la fatigue nous gagne. Notre hôte s'en aperçoit, nous prie de le suivre et nous conduit à nos chambres, à l'étage supérieur. C'est un long couloir faiblement éclairé, orné de vieilles armures du 15ème siècle et d'immenses toiles d'araignées. " Voici vos chambres, j'espère que vous vous y plairez. Les pièces communiquent par une petite porte et ont différentes vues sur le domaine. "
Je baille à me décrocher la mâchoire, ce qui va vraiment finir par arriver si je ne cesse pas de bailler ! Mais je n'y peux rien, tous ces discours m'endorment... Enfin... Ce petit discours ! M. Du Fjord Glacé s'en rend compte et nous recommande de gagner nos lits, non sans me regarder d'un œil amusé. Il nous ouvre nos chambres et nous souhaite une excellente nuit. Enfin ! Je rentre, ferme la porte à double tour, me jette sur le lit et m'endors aussitôt.
Au milieu de la nuit, je suis réveillé par des frottements. Les yeux mi-clos, je promène mon regard dans la pièce quand un mouvement attire mon attention. Je sursaute : une faible lumière tremblotante flotte sous mes yeux endormis. Une bougie vole dans la pièce, tourbillonnant, son feu s'amplifiant brusquement puis redevenant une simple flammèche. Je n'ai pourtant pas abusé de l'alcool hier soir... Et je ne rêve pas, l'hématome sur mon bras me le confirme... Stupéfait et, cette fois, effrayé, je veux l'attraper, mais elle s'évanouit dans le néant. La terreur me gagne lorsque, à l'autre bout de la grande chambre, je crois apercevoir une forme floue et blanchâtre. " Calme-toi, que je me dis, c'est la fatigue qui te fait divaguer. " Et je me blottis sous les couvertures de mon lit. Je me rendors avec difficulté. Jusqu'au petit matin, mes pensées sont hantées par les visages de Titou et Jéjé, ensanglantés et crispés, comme atrocement torturés.
Un rayon de soleil vient effleurer mes yeux. M'étirant, je me lève ouvrir la fenêtre. Je me penche et recule d'un pas en apercevant la mer en furie qui se déchaîne au pied de la vertigineuse falaise au sommet de laquelle a été construite la demeure. Le manoir de l'Aigle porte sacrément bien son nom. Mes amis pénètrent dans ma chambre par la petite porte communicante accompagnés de M. Du Fjord Glacé.
" Alors Phil ! Bien dormi ? Me demande Sébastien. Pas trop de cauchemars ?
_ Heu... Ben... Et vous ? Me renseignais-je, préférant détourner la question
_ Super ! Excellents les lits, non ? S'exclament les jumeaux en chœur, toujours chez eux partout - et surtout dans mon appartement où traînent encore leurs affaires sales.
_ Bon, trêve de parlotes, nous coupe le comte. M. Nadroj, finissez vite de vous habiller. Avant de prendre le petit-déjeuner, j'ai décidé de vous montrer la fierté de mon manoir. Vite ! "
Je m'habille en hâte et me précipite à la suite du petit groupe, tout en bouclant ma ceinture qui s'est prise dans un trou de la boutonnière de ma chemise. Nous changeons d'étage et arrivons à un cul de sac. Le couloir est interrompu par un grand mur. Sur ce dernier est accroché un grand tableau représentant une merveilleuse jeune femme drapée d'un voile transparent, posant sur un fond marin.
La clarté de son regard, l'éclat de sa peau blanche, la blondeur de ses cheveux tombant en cascade sur ses épaules nues, ses lèvres pulpeuses et éclatantes, la rendent presque vivante et l'auréolent d'une lumière irréelle. La superbe créature ne nous est pas inconnue.
" Je vous présente Mathilde, la " Dame Blanche ", emmurée vivante pour sa tenue légère avec les hommes. On dit que, maintenant, son fantôme erre à travers le manoir à la poursuite de sa vengeance. "
Les jumeaux pouffent et la jaugent avec envie, se jetant des clins d'œil éloquents... Sébastien l'admire. Impressionné par la dernière phrase de notre hôte, et sous l'emprise du charme que dégage le tableau, je rapproche mon visage de celui de la peinture. Il me semble presque l'entendre respirer, tellement elle fait réelle, et je crois voir ses grands yeux bleus s'illuminer et sa belle bouche se tordre en un rictus effrayant. " Comme les visages des deux frères cette nuit, pensais-je. " Mon ventre gargouille. Eh oui ! L'inquiétude n'empêche pas la faim !
" A présent mes amis, déclare le comte, venez vous régaler les papilles. ".
Au moment de repartir, je ne peux m'empêcher de me retourner une dernière fois vers cette jeune femme qui dévoile ses formes sans pudeur aucune.
Pendant le petit déjeuner, je demande à notre hôte s'il croit à la " Dame Blanche " et s'il l'a déjà vue. Il ne me répond pas. Je réitère plusieurs fois ma question, mais en vain. Bizarre ! Il semble fuir ma demande. Je lui paraît peut-être ridicule.
La journée se passe sans incident, bien remplie, entre les excursions (ma vieille tendinite à la jambe est revenue) et les parties de pêche en bateau dans les fjords (un alevin de cinq centimètres, mon record !). Mais la nuit arrive, et avec elle, mes craintes. Les nuits qui suivent, mes hallucinations m'empêchent de dormir et je remarque qu'elles m'embarrassent maintenant aussi le jour tant et si bien que je crois devenir fou. Bonjour le séjour de rêve ! Ça doit être un truc dans l'air... Ou dans l'eau... Ou alors les acariens du lit qui sont des mutants...
Pourtant, force est de constater que le comportement de Jéjé et Titou a changé. À bout d'hypothèses, je parle de mes visions à Sébastien. Ho surprise, lui aussi est privé de sommeil. Véritablement inquiets, Nous nous mettons à surveiller de près nos amis dans l'espoir de comprendre quel est le problème, et d'où il vient.
Quand une nuit, tout bascule...
Nous sommes le troisième jour de la deuxième semaine, le 24 juin. Je n'arrive toujours pas à trouver le sommeil. Soudain, ma fenêtre s'ouvre sans raisons apparentes et un tabouret, traversant ma chambre, me cause une vive frayeur. Il me semble sentir une présence à mes côtés sans qu'il y eut quelqu'un. Je regarde dans la direction du siège, tremblant de tous mes membres, quand une forme floue, debout devant mon lit, attire mon attention.
Une silhouette couleur neige se matérialise, me tendant le bras. Son visage parfait m'est familier, réveillant des pulsions naturelles (et pourtant ce n'est vraiment pas le moment !) : Mathilde, la " Dame Blanche ", me rend visite. Curieusement, je n'ai nullement peur. Je fais un mouvement vers elle, mais la demoiselle, telle une biche effarouchée, se déplace vers la porte, l'ouvre, telle une invitation, et s'enfuit dans le couloir. Croyant à une farce, un sourire aux lèvres, je la suis. Débouchant dans le corridor, je m'arrête, perplexe : la " Dame Blanche " a disparu. Sans doute un hologramme ou je ne sais quoi ! Bien réussie la blague ! Mais quelque chose me pousse à avancer à pas de loup. Finalement, seul dans la pénombre avec le manoir qui grince, je ne suis guère rassuré. J'ai l'impression que le sol se dérobe sous mes pieds et que tous les objets dansent autour de moi. " La fatigue, c'est la fatigue " , me dis-je. Un silence de plomb plane dans la demeure antique. L'obscurité est telle que je heurte une armure. Au même instant, d'horribles cris retentissent, suivis d'un bruit sourd et d'un claquement de porte. Puis le silence retombe, plus pesant, plus inquiétant. Oubliant le coup du canular, je me précipite tant bien que mal dans la direction du vacarme, provenant de la chambre de Titou et Jéjé. Là, Sébastien se tient debout près du lit. Sur ce dernier gisent les jumeaux. Le visage est crispé, virant au violet, comme s'ils avaient été étouffés ; leurs yeux sont exorbités ; leur bouche béante est perlée de gouttelettes de sang ; leurs cheveux sont figés, littéralement dressés sur la tête ; les corps sont arqués dans des postures inimaginables. Je ricane : " c'est bon les gars, vous m'avez bien eu ! ". Aucune réaction. L'attitude de Sébastien me fait peur, et me convainc d'y regarder de plus près. Je touche le visage de Titou. Je retire la main comme si je m'étais brûlé : elle est glaciale, un froid... De mort.
Il me semble que tout tourbillonne autour de moi. Je crie mais personne ne vient. Le manoir est vide. Balayant la pièce du regard, je crois apercevoir Mathilde, mais l'ombre furtive s'esquive aussitôt. " Ils sont morts, ils sont morts, répète inlassablement Sébastien. "
Oui, en ce 24 juin 2006, nos amis venaient de mourir, et, à y réfléchir, cela ressemble étrangement au témoignage du ménestrel. L'état dans lequel nous les avons trouvés correspond aux visions qui nous rendaient fous.
Notre séjour idyllique s'est transformé en cauchemar. Nous sommes à des kilomètres d'un quelconque village. La douleur de leur mort nous a abrutis, désemparés. Je ne sais si nous connaîtrons un jour la cause de leur décès, et encore moins qui leur a fait ça. Dans notre délire, nous avons cette idée fixe : peut-être est-ce la Dame Blanche... Mais... Qui sait ? Qui sait à quelles extravagantes hypothèses notre folie va nous conduirent à formuler avant que l'on ne nous retrouve ? Qui sait ce que nous deviendrons avant que l'on ne nous retrouve ?
Un souffle froid se glisse dans nos habits, et une phrase flotte, aérienne, légère, mais lourde de menaces : " Une tombe est construite dans ce manoir maudit et elle sera veillée jusqu'à la fin des temps "... Tiens ? Je l'ai déjà entendue, ou vue, ou lue quelque part...


J'attends vos impressions !
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Re: Le manoir
Posté par efw28 le 18/07/2005 14:26:15
et en français ca donne quoi ? tu commence des phrases que tu finis po donc bon t pas faciles à suivre ! je n'ai compris que la dernière phrase : il y a beaucoup d'éléments qui se retrouvent das toutes les littératures, mais de fait, je n'ai pas lu énormément de livres ou il y a les memes éléments que dans ma nouvelle . peut etre que tu trouvera des nouvelles idées dans les quelques autres nouvelles que j'ai déjà postées... au plaisir de t prochaines critiques...
Re: Le manoir
Posté par portes ouvertes le 17/07/2005 23:45:05
Rhôô comme on peut se montrer méchant avec ses pauvres personnages!! Combien de morts en tout!? Combien d'heures de vie soustraites aux organismes survivants rongés par les tourments? Rhôô

Le 24 juin 2006, date prévue de la sortie du pavé littéraire contenant cette histoire ( de fait l'histoire paraîtra s'inscrire dans un contexte très précisément contemporain ). WAAAWH Les cauchemars à trouble d'inhibition motrice attendent leur heure au représenté mental des visions cauchemardesques de ce, euh, roman.

Il suffirait d'autres ingrédients moins resservis en littérature, avec le même talent pour ... Titiller certain lectorat.

Allez, salut
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L'auteur : Lucile Deprez
38 ans, Carcans (France).
Publié le 15 juillet 2005
Modifié le 24 juin 2005
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