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Le Peer To Peer face à la logique du Droit d'Auteur

À la différence du droit moral qui est un droit naturel, le droit patrimonial de l'auteur est un droit économique. Il a été consenti pour protéger les investissements en temps et en argent que nécessitaient la reproduction et la diffusion de la culture autrefois.


Mais le développement des réseaux et la naissance du P2P entraîne le fait que ces coûts sont désormais pris en charge par les internautes eux-mêmes. Dans ces conditions, quelle légitimité conserve encore le droit patrimonial de l'auteur ?

LE PEER TO PEER FACE A LA LOGIQUE DU DROIT D'AUTEUR VERS LA NÉCESSAIRE RECONNAISSANCE DU DROIT DU PUBLIC

"Chaque partie étant pleine de vice, le tout était pourtant un paradis..."

Mandeville Bernard, La fable des abeilles : les vices privés cachent des vertus publiques, 1714


Par Jean-Baptiste Soufron
Avec la collaboration de Aziz Ridouan


C'est pour protéger les auteurs contre leurs éditeurs qu'on a cru bon d'imposer une réglementation du droit d'auteur. Les évolutions technologiques récentes permettent de faciliter la reproduction des œuvres et leur échange mais elles peuvent aussi permettre de contrôler totalement leur diffusion. Sous couvert de protéger les auteurs contre le piratage, les éditeurs tentent ainsi d'imposer, à leur profit, une nouvelle relation déséquilibrée entre eux et le public.


Historiquement, c'est l'invention de l'imprimerie qui permet, vers 1450, la reconnaissance progressive des auteurs dont les œuvres peuvent désormais être beaucoup plus largement diffusées au public. L'usage d'une œuvre incorporelle, comme une partition de musique, ne crée aucune concurrence entre ses utilisateurs puisque plusieurs personnes peuvent, désormais, jouer ou écouter en même temps un même morceau. Le développement de la reproduction des œuvres autorise donc leur diffusion à un public plus important mais elle nécessite de lourds investissements en temps et en argent. Les éditeurs et les auteurs ont donc réclamé de remédier à l'état naturel des choses dans lequel tout un chacun peut réutiliser une œuvre dont il a eu connaissance. On a alors accepté un certain contrôle de la liberté de reproduction pour ne pas décourager la diffusion de la culture et de la connaissance.


Le premier mécanisme de protection des auteurs a ainsi consisté à accorder des privilèges aux imprimeurs pour les encourager dans leur industrie. Il s'agissait de poursuivre un objectif économique de protection contre la contrefaçon. Les privilèges n'étaient alors que très rarement accordés directement à un auteur [1] mais, peu à peu, il est devenu nécessaire de commencer à protéger les auteurs contre les abus de leurs propres éditeurs. Finalement, la première loi [2] à reconnaître un véritable privilège de reproduction aux auteurs eux-mêmes est le Statute of Anne élaboré en 1710 en Grande-Bretagne [3].


De son coté, la France consacre le droit d'auteur par une loi du 19 janvier 1791 qui reconnait le droit de représentation. Elle promulgue ensuite une loi du 19 juillet 1793 qui consacre le droit de reproduction. Les deux textes sont articulés autour des idées qui resteront le coeur des législations à venir [4] :

#Le droit d'auteur est un monopole justifié par une création intellectuelle et il est conféré aux auteurs.

#Ce monopole est seulement un droit temporaire car il convient de tenir compte aussi de l'intérêt du public et de la nécessité de permettre la diffusion des oeuvres.


Aujourd'hui, la protection des auteurs suit une logique simple qui commence par reconnaître leurs droits avant de les limiter par certaines exceptions.


Au-delà du CD, du livre ou du DVD qui lui sert de support physique, une oeuvre divulguée au public est une chose incorporelle sur laquelle l'auteur jouit, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété exclusif et opposable à tous qui comporte les attributs suivants :

#Des attributs moraux pour éviter que le public ne fasse usage de l'oeuvre dans un sens contraire aux volontés initiales de l'auteur.

#Des attributs patrimoniaux [5] pour permettre l'exploitation de l'oeuvre par l'auteur. Ils se subdivisent eux-mêmes en deux droits donnant lieu a des privilèges différents [6] :

- Un droit de représentation.

- Un droit de reproduction qui est le seul à concerner les oeuvres numérisées [7].


Ce système de monopole légal est devenu la base de ce qu'on appelle maintenant une industrie de la culture. Bénéficiant des progrès de la technique, les oeuvres se sont en effet répandues de plus en plus facilement en générant des revenus de plus en plus importants. Pourtant, l'évolution technologique qui a présidé à cette évolution semble désormais dresser une barrière entre les intérêts des auteurs et ceux du public. En effet, suite logique du développement de l'informatique, les progrès de la numérisation et la généralisation des réseaux permettent maintenant au public d'accéder quasi-instantanément à la culture en transformant chaque particulier en un éditeur électronique potentiel. A l'exemple du peer-to-peer, ces technologies menacent directement les revenus que les auteurs tiraient jusqu'à présent du contrôle de la reproduction de leurs créations.


L'attitude à adopter face à cette menace n'est pas évidente et les menaces de certains éditeurs finissent par conduire certains à dénoncer une véritable campagne de culpabilisation du public [8]. De son coté, le droit n'apporte que peu de réponses à une problématique nouvelle qui pose des questions aussi juridiques, qu'économiques ou politiques. Il est toutefois capital de réfléchir à ce problème en comprenant que la diminution du coût de reproduction des oeuvres vient modifier l'antique rapport de force qui avait longtemps présidé à la répartition des rôles entre les auteurs et le public.


En réalité, seule une minorité d'artistes vit aujourd'hui du monopole de la reproduction de leurs oeuvres [9] tandis que les autres subsistent grâce a des activités secondaires de représentations ou de commandes. Pourtant, ce monopole génère des sommes importantes qui font vivre de nombreux éditeurs et leurs employés de sorte que ceux-ci sont les vrais intéressés au maintien du système actuel. Le véritable enjeu du débat semble donc se restreindre à un problème de répartition du pouvoir entre les éditeurs et le public voire, à terme, entre les éditeurs et les auteurs par le biais du contrôle de la diffusion de la culture.


Le coût de la reproduction des oeuvres et de leur distribution au public est maintenant limité par les nouvelles technologies informatiques. En apparente contradiction avec le monopole de reproduction reconnu aux auteurs, les réseaux Peer-to-Peer permettent d'échanger les fruits de la création en toute liberté [10] (I). Face a cette remise en cause généralisée du système, on voudrait étendre les droits des auteurs au détriment du public en anéantissant les exceptions qui ont toujours limité leur pouvoir (II). Celui-ci n'a pourtant jamais eu vocation à être considéré comme un pouvoir absolu mais il semble, en revanche, nécessaire de rappeler qu'il doit être limité par l'intérêt du public et de la société (III).


Suite de l'ouvrage :

Le Droit d'auteur face au P2P : vers la nécessaire reconnaissance d'un droit du public - HTML
Le Droit d'auteur face au P2P : vers la nécessaire reconnaissance d'un droit du public - PDF

Site de l'auteur, Jean-Baptiste Soufron
Site de Aziz Ridouan
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Publié le 01 août 2004
Modifié le 01 août 2004
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