| Les frontières du tempsPlongez vous dans les cités obscures toute l'année...Vous avez la possibilité pour l'année 2005 de choisir parmi les calendriers que vous présentera votre facteur, vos pompiers, vos services de nettoyage... Mais, fans de bandes dessinées, le rayon papeterie des éditions Casterman vous propose un calendrier illustré par François Schuiten ! Sous le titre "Les frontières du temps", les illustrations des douze mois sont extraites des deux tomes de La Frontière invisible. Chaque chapitre des albums, co-signés par François Schuiten et Benoît Peeters, est introduit par une planche reprise dans ce calendrier au format 30 X 44 cm. L'ensemble est agrémenté d'un dessin original pour la couverture.
Ceux qui aiment l'œuvre de Schuiten ne seront pas dépaysés et apprécieront ces planches. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore le talent de François Schuiten et le récit de la Frontière invisible, ce calendrier sera une porte ouverte pour entrer dans le monde des Cités Obscures. D'ici là, voici une petite présentation de la Frontière invisible :
"Roland est un jeune fonctionnaire du Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie, un lieu d'où on ne sort pas. Très vite, il comprend que cette administration sert les visées expansionnistes du pouvoir. Mais bientôt, la peur s'installe au Centre. Des bruits courent, on parle d'attentats, d'archives détruites, d'assassinats, de guerre, de rébellion matée dans le sang... Shkodra, la jeune femme dont Roland est tombé amoureux, semble par ailleurs intéresser au plus haut point les autorités, de plus en plus menaçantes. Tous deux prennent la fuite à travers déserts, montagnes et marais... Traqués, ils n'auront qu'une chance de s'en sortir : franchir la frontière. " (présentation Casterman)
Avec La frontière invisible, les auteurs nous emmènent dans une partie du monde des Cités obscures encore peu explorées, même si la Sodrovno-Voldachie a déjà été évoquée dans le Guide des cités. Cet album nous donne l'occasion d'approfondir notre exploration de cet univers parallèle au notre, mis au grand jour par Schuiten et Peeters en 1983 avec Les Murailles de Samaris. Depuis une vingtaine d'années, ils ont mis à jour les différentes liaisons et passerelles entre les différentes cités du monde obscur mais aussi entre ce monde parallèle et notre propre terre. L'incroyable cohérence de la série des Cités obscures apparaît encore une fois dans le deuxième tome de La Frontière invisible avec une allusion à la cité de Mylos (ville de Mary Von Rathen) ou à un personnage célèbre de la série Axel Wappendorf et ses inventions incroyables. Si les auteurs semblent peut-être coincé dans leur monde, du moins en bande dessinée (car les auteurs ont plusieurs cordes à leur arc), ils le développent avec un tel talent que, pour beaucoup de lecteurs, le monde des Cités obscures est presque devenue une réalité tangible.
La Frontière invisible s'inscrit bien aussi dans les interrogations obsessionnelles des auteurs : interrogation sur la place de l'homme dans une société ou sur l'absurde qui découle d'un fonctionnement. Pour le scénariste, "l'idée est de montrer comment la cartographie, cette histoire des frontières et des conflits frontaliers peu parfois dépasser le débat de spécialistes. " (Interview de Benoït Peeters, dans Canal BD Magazine n°23). Ce thème de la cartographie et de la frénésie expansionniste trouve malheureusement des résonances très contemporaines avec les événements en Ex-Yougoslavie, et même encore plus récemment au Moyen-Orient. Mais les auteurs ne font aucune référence précise. Si on sent l'impact de l'actualité, celle-ci est prise avec distance et sans critique directe. Les Cités obscures pointent les disfonctionnement de la société et des systèmes en général. Ainsi, La Frontière invisible nous montre le décalage entre le travail intellectuel des cartographes, reclus dans leur centre et complètement coupés de la réalité, alors qu'ils sont sensés s'en occuper et la représenter avec exactitude. D'ailleurs, quand Roland et Shkodra s'enfuient du Centre, la composition de la planche semble s'aérer, comme pour nous signifier la sortie d'un espace confiné et la promenade dans un espace plus libre (ce qui est peut-être qu'une illusion). Si le héros a réussi à se dégager de l'atmosphère oppressante du centre, ce nouvel espace marque aussi son errance et sa perte de repères.
L'autre thème abordé est la perte des illusions du jeune héros, qui est à la fois confronté à son premier travail, à son premier amour, à sa première opposition à l'ordre. Tout aboutit à un échec à la fin, quand il prend conscience qu'il est pris dans quelque chose qui le dépasse et que le monde est bien plus complexe qu'il le pensait. Un certain pessimisme se dégage de cette BD. Si les autres héros des Cités obscures se confrontaient toujours à l'absurdité du monde, l'amour constituait une échappatoire. Or Roland, lui-même à la fin de l'histoire, met en doute la profondeur de ses sentiments pour celle qui l'a tant attiré. On ne parvient à savoir s'il aime vraiment Shkodra ou bien sa tache.
Comme toujours, Schuiten et Peeters se refusent à donner une fin claire et précise où tout serait élucider. La fin est encore assez ouverte et laisse le lecteur avec pleins d'interrogations et de réflexions. Ce parti pris a un côté frustrant pour le lecteur, et en même temps nous permet de prolonger l'imaginaire des Cités obscures dans notre tête. D'ailleurs pour parcourir toujours un peu plus cet univers, une carte physique du monde des Cités obscure et de la Sodrovno-Voldachie vous est offert avec l'album. | | |
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