"Et c'est sur ces images insolites que nous terminons ce journal télévisé, images tournées par un caméraman amateur en plein Paris."
Cette phrase interpelle l'oreille professionnellement attentive du photographe à sensations qu'est Simon. Passage par le cerveau, l'information fait réagir le cou qui pivote vers la droite pour permettre aux yeux de voir ces "images insolites".
A la télévision, il voit une séquence manifestement tournée par un amateur, ça tremble, on a du mal à y voir clair, mais enfin on arrive à distinguer, au loin, sur un toit parisien, une vague silhouette qui s'apparente à un léopard, ou à un truc dans le genre, on est pas tous experts, non mais quand même.
La voix-off commente qu'aucun fauve, ni même aucun animal tout court n'ayant été déclaré échappé des zoos locaux, il s'agit sûrement d'un canular. Brillante déduction. N'empêche que les temps sont durs pour Simon comme pour tout le monde, et ces temps-ci surtout il aurait bien besoin d'un reportage à fournir au torchon pour lequel il travaille. Il faut bien vivre.
Bon. C'est simple. Deux hypothèses. Soit c'est un imposteur, soit c'est réellement un fauve, et dans les deux cas il y a des choses à apprendre, et surtout à photographier... Partons du principe que c'est un plaisantin qui n'a que ça à faire de ses journées. Comment l'attraper ?
La vidéo amateur a été tournée dans un quartier connu de Simon, c'est donc sur le lieu "du tournage" que ses investigations vont commencer.
Le lendemain, sur un toit, à la recherche d'il ne sait quoi, une peau de panthère ou un déguisement plus abordable, il erre sans indice, sans but précis. Un jour par pâté de maison, c'est un bon début.
Trois jours perdu, rien à chercher, rien à trouver, sûrement un petit malin, hypothèse vérifiée même si aucune preuve n'est au rendez-vous, si un vrai félin se cachait là, il y en aurait, des preuves. Demain sera le dernier jour de recherche, le dernier pâté de maison du quartier à visiter. Sans conviction.
Depuis plusieurs jours déjà un faible se promène sur mon territoire. Je sais, ça n'est pas réellement mon territoire, je n'ai pu le marquer car un faible finirait bien un jour par le remarquer. Je n'ai marqué que les environs immédiats de ma tanière, enfin de ce que j'ai trouvé qui s'en rapproche le plus. Ma déesse est en sécurité, je veille sur elle. Si ce soir il revient encore, et s'il s'approche trop près de moi, je serais obligé d'intervenir pour le faire fuir, pour qu'il comprenne qu'il n'est pas le bienvenu sur ce qui reste malgré tout mon territoire.
La nuit ne va pas tarder à tomber, c'est le moment qu'il choisi généralement pour me déranger et me forcer à me cacher.
Je me tapis, et j'attends.
Le soleil a bien baissé depuis le début de l'attente, mais enfin je l'entends. Il fait beaucoup de bruit, mais je sens bien qu'il essaye de ne pas en faire, qu'il aimerait bien ne pas en faire... Je le vois, il avance prudemment, il est aux aguets, il cherche, il me cherche, je ne bouge pas, je ne peux rien faire d'autre. Je n'ai pas envie de le manger, j'ai déjà mangé aujourd'hui. Je veux juste qu'il me fiche la paix. Va-t-en !
Dernier soir de recherches pour Simon, qui en a marre... Marre d'avoir gaspillé quatre jours, marre de n'avoir aucun sujet pour le journal, marre de se les geler sur ces toits déserts, de toute façon le petit plaisantin n'est plus là c'est évident, il a autre chose à faire, même lui... Pourtant un sentiment étrange oppresse Simon.
Une peur, étrange, inexpliquée, le ronge. Plus il avance, plus il a l'impression d'avancer dans une jungle hostile, en territoire ennemi.
Quelques mètres, et soudain... Là bas, dans ce petit renfoncement, entre deux toits, brillent deux yeux. Et ces yeux sont posés... sur lui.
Simon est paralysé. Il devrait fuir, son bon sens lui dicte, lui ordonne, lui hurle de fuir à toutes jambes, mais comme la proie qu'il se sent être, il est hypnotisé par ce regard d'or qui ne le lâche pas, le regard du prédateur.
Il est là, face à moi, il ne bouge pas. Je ne sens rien de mauvais en lui. Il a peur, il sue la peur, il empeste la peur, mais ce n'est qu'un faible, c'est normal. S'il fait demi tour, je le laisserais aller, aucune menace ne se dégage de lui.
Soudainement, les poids qui lui enchaînaient les jambes et les bras disparaissent, la voix de la raison qui lui hurle de fuir se fait toujours plus forte, et il n'a plus d'autre choix que de l'écouter...
Fuir, mais où ? Un regard à droite, un autre à gauche, une fenêtre entrebâillée, même pas quinze mètres, une silhouette féminine derrière, présence rassurante, la panique, le besoin VITAL de la rejoindre, elle seule peut l'aider, il DOIT partir d'ici !!
Il a déjà parcouru une dizaine de mètres, la femme l'a vu, le regarde courir sans comprendre, un regard, à droite, du côté du fauve, lui apprend qu'il n'y est plus. Lorsque son regard se re-pose devant lui, il voit entre lui et la fenêtre le félin, énorme, poil hérissé, œil mauvais, crocs à l'air, grognement évocateur, prêt à bondir. Plus que trois mètres pour arrêter la course folle avant de se jeter sur ses crocs, effort surhumain, main droite qui attrape une antenne télévisé, ça y est, plus que deux mètres, mais à l'arrêt, tous les deux, face à face.
Une seconde. Une éternité. Il va bondir. L'autre le comprend, se saisit de l'appareil photo qu'il porte autour du cou, lui jette dessus de toute ses forces. Acte futile. Appareil photo écarté d'un négligent coup de patte. Les muscles se bandent. Les griffes sortent. Les canines se découvrent encore plus qu'elles ne l'étaient déjà, si c'est possible... Ca y est, le fauve est sur lui, les griffes agrippent la poitrine, les crocs se rapprochent du cou, la gueule va se refermer...
"STOOOOOP !!!!!"
Pause. L'homme, allongé par terre, sang qui coule des blessures à la poitrine, le monstre par miracle immobile, tenant la gorge de la victime à sa merci.
Plus rien ne bouge. Silence. Encore quelques secondes d'éternité.
La femme n'en revient pas. Le Jaguar lui a obéit !
Pourquoi ma Déesse m'a-t-elle arrêté ?
A suivre... |