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Manderlay, interprétations possibles d'un film polémique

Bien qu'il se soit toujours refusé à évoquer les messages que délivraient ses films, il est évident que les thèmes que choisit Lars Von Trier, loin de tout conformisme, ont vocation à faire réfléchir sur l'horizon de la pensée et sur des choses qui paraissent (à tort) acquises.


Dans Manderlay, seconde partie de sa dite trilogie Américaine (Après Dogville), il évoque la fin de l'esclavage et ses paradoxes. Comment il fut dur pour les êtres émancipés de goûter pleinement à la liberté quant elle est pour eux un concept abstrait. A travers ce débat en apparence ancien, apparaît la question des dictatures et des démocraties, systèmes renvoyés dos à dos, car présentant autant d'effets pervers l'un que l'autre. Les membres du village sont dans le film régis par une dictature "soft", bien organisée, et où chacun sait quelle est sa place. Peuvent-ils s'adapter à un modèle importée par une vision extérieure, et d'une certaine forme ethnocentriste ?

La réflexion s'organisera pour chaque sujet de la façon suivante :

° Formule oratoire résumant l'idée suggérée.
* Moment et/ou actions du film auxquels la formule renvoie
/ Parallèle possible avec la société d'aujourd'hui.


°"Ce qu'un regard extérieur peut assimiler à une exploitation de l'homme par l'homme, peut être le fruit d'une entente entre les deux parties"
* Grace fait une erreur d'analyse sur la situation qu'elle découvre.
/ L'intervention de Grace rappelle, à un certain titre, celle des groupes représentatifs défendant différents droits des minorités. Des organismes qui ne représentent souvent qu'eux-mêmes mais parlent au nom des africains, des femmes, des homosexuels, des handicapés, des amateurs de vin, ... Ces groupuscules visant à placer sur le terrain politique bon nombre de sujets sociétaux dont l'évolution devrait se faire d'elle-même, dépossèdent en quelque sorte les véritables concernés par les sujets qu'ils traitent. La floraison des associations et autres syndicats ne trouve pas sa légitimité, dans la mesure où rien ne démontre que la société actuelle est plus injuste qu'avant.


°"Un être peut avoir été tant conditionné à son asservissement, qu'il sera incapable d'intégrer les possibilités que peut lui offrir la liberté"
* Cette réflexion trouve sa source dans le fait qu'aucun habitant ne quitte le village, ni même ne prend d'initiatives quant à son entretien, une fois que l'autorité n'est plus.
/ Des exemples anciens et récents vont dans le sens de cette idée. Ainsi les grands moments de flottement que connaissent des pays ayant vécus sous le joug d'un dictateur, finissant par décéder. Il y a aussi la nostalgie que provoque la perte de cet être, considéré pourtant comme un tyran juste avant sa mort. L'exemple de la mort de Staline en U. R. S. S. Trouve aujourd'hui un écho en Irak, où une partie de la population est désœuvrée face à la direction floue que prend le pays.


°"La démocratie ne s'enseigne pas, elle est une pratique intégrée ou non"
* On constate rapidement que les cours donnés par Grace sont désuets, la situation lui échappera à cause de ses propres préceptes.
/ Ce raisonnement tend à remettre en cause le droit d'ingérence imposé par l'ONU, et dont la France se veut une spécialiste. Celui-ci consistant à intervenir dans la politique d'un pays, si on la juge contraire aux droits de l'homme et à la démocratie.


°"Stéréotyper et classifier les individus est un mal nécessaire"
* Le cahier de Mam où figurent les classifications des gens du village est une ressource que Grace n'utilise pas à bon escient. Ainsi elle est piégé par Timothy car ayant renoncé à toute méfiance, son émotion dominant sa raison.
/ Il est de mauvais ton aujourd'hui de créer des fichiers relatant les occupations, la situation géographique et maritale d'un individu. Chaque mesure dans ce sens fait se soulever des boucliers d'offuscation, fait crier à la paranoïa ou la violation de vie privée. Les conséquences de cette idéologie libertaire fut particulièrement prégnante dans le milieu criminel, où la prise d'empreintes et l'utilisation de l'ADN, étaient soumises à de nombreuses restrictions jusqu'à récemment. Sous prétexte de respect de l'individu, elle a fait les beaux jours de tueurs et autres violeurs. Avoir une idée, même négative et erronée sur une personne, permet de se protéger quelque peu dans sa façon de l'aborder. En revanche, l'absence de préjugés revient à rendre les individus désarmés et inconscients de leurs actes, dans leurs interactions avec autrui.


°"Garder la main sur des individus en mettant en place un assistanat pacifique est illusoire. Il faut contraindre plutôt que proférer"
* Grace elle-même se résout à employer la force (les hommes de main que lui a laissée son père) pour faire venir les habitants à ses cours de démocratie. Elle constate aussi l'inaction de chacun face aux maisons délabrées.
/ Cette utopie permissive consistant à offrir un champ du possible à un individu dans la perspective qu'il l'utilisera, trouve un exemple concret avec l'acquisition du droit de vote. Les états simplifient de plus en plus les tâches administratives pour s'inscrire sur une liste, mais malgré ça l'abstention est galopante. Ce phénomène est frappant dans les quartiers dits difficiles et dérépublicanisés. En France, il a fallu une propagande de tous les instants et une récupération de leur misère par des partis politiques, pour que les habitants aillent enfin aux urnes lors de la présidentielle de 2007. Lors des élections qui suivirent, ils reprirent leur habituelle léthargie à l'encontre des scrutins, leur intérêt ayant disparu d'autant plus vite qu'il a été aussi artificiellement que vainement suscité.


°"Asservir son propre peuple, en connaissance de cause, se révèle salutaire quand celui-ci est inapte à la liberté et l'individualisme"
* La loi de Mam est rédigé, non par celle qui dirige, mais par Wilhelm, sans doute la personne qu'elle exploite le plus durement. Il est conscient du type d'existence qu'il propose à son peuple et, continuera de défendre les préceptes du livre de Mam bien après la mort de la tortionnaire.
/ Peut-on comparer cette idée à celle défendant les effets bénéfiques de la colonisation ?


°"Être asservi ne signifie pas que sa vie n'a aucun sens, elle peut au contraire en avoir bien plus qu'une liberté sans but ni moyens"
* Les propos de Wilhelm traduisent à merveille ce qu'il considérait comme "juste" dans l'édiction de la loi de Mam. Le comportement global du groupe face à l'absence de directives ramène aussi à l'importance de l'existence d'un leader, personne qui ne devra pas être sur la même ligne hiérarchique que ceux qu'elle guide.
/ La distinction entre les modes de leadership que fait Wilhelm, consiste à considérer qu'il y a des inégalités justes et légitimes. Il ne faudrait donc pas conclure en observant chaque inégalité hiérarchique, qu'elle est le fruit d'un fonctionnement forcément injuste. Ainsi le combat politique de certains pour une parité absolue à l'assemblée nationale, ou pour la visibilité médiatique de minorités, est un contresens historique. Si certaines filières d'université sont pourvues à 80% de filles, ne serait-ce pas simplement parce que leur nature les prédispose à s'orienter vers certains domaines plus que d'autres ? Si certains métiers physiques ou postes haut placés sont quasiment l'apanage des hommes, n'est-ce pas seulement une conséquence logique de la répartition naturelle entre les aptitudes des deux sexes ? Un père n'est-il pas plus enclin à l'autorité qu'une mère ? Autant d'évidences que la société du tout égalitaire dans laquelle on vit voudrait absoudre.


°"Aider un groupe d'individus ne vise en réalité qu'à satisfaire une appréciation égocentrique"
* Grace finit par s'accorder une vengeance toute personnelle. En fouettant Timothy, elle ne défend pas le groupe, elle agit par frustration de voir son projet tomber à l'eau. Elle est vexée de ne pas avoir bien interpréter le comportement de cet homme, elle se laisse envahir par la haine et non par une volonté de justice.
/ On constate que beaucoup de présidents ou dirigeants d'associations ou organismes à buts non lucratifs, ont profités de l'exposition que leur offrait leur structure pour investir d'autres terrains de jeu. Ainsi un dirigeant de syndicat ou d'association est davantage un homme se cherchant un destin, qu'un homme vaquant à la destinée des autres.


°"L'utilisation de référendums pour prendre toutes décisions entraîne l'injustice et la stupidité"
* En l'absence d'horloge, l'heure de la journée est décrétée par vote selon la perception approximative des habitants. A priori anecdotique, cette décision scellera le destin de Grace, loupant la possibilité de rapatriement offert par son père.
/ Les exemples des récents référendums pour lesquels on a pu voter en France et en Europe, révèlent un danger. Non pas parce que le peuple ne soit pas assez intelligent pour prendre des décisions, mais parce qu'il y a toujours eu confusion sur les questions posées. Du référendum Gaulliste sur les régions en 1969 à celui portant sur la constitution Européenne en 2005, le peuple ne s'est jamais vraiment exprimé sur l'enjeu réel mais davantage sur un ressenti, à savoir une approbation ou une sanction face au pouvoir en place. Le risque de sombrer dans la démagogie est énorme, puisque décider tout par référendum revient à "donner au peuple ce qu'il veut". Cette exigence peut-elle se marier sans encombre avec les contraintes économiques et sociales d'une société ?
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L'auteur : Emilien Bartoli
41 ans, Toulouse (France).
Publié le 18 janvier 2014
Modifié le 13 janvier 2014
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