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Pépins

C'était la seule chose que je trouvais un peu désagréable des framboises : les pépins. Ça prenait toujours des heures avant qu'ils disparaissent tous. Comme les enfants.


Quand ça me prenait, pour oublier, je mettais sur le bout de mes dix doigts (...) des framboises. Puis, je les mangeais. Une à une. Ça m'épargnait jusqu'à la fois suivante. Ce n'était pas dramatique, juste un peu embêtant à la limite. Puis, tant que je pouvais oublier tout ça par les framboises, il n'y avait pas de souci. Ça faisait comme du sang sur mes doigts le jus de framboises. Ce n'était pas vraiment du sang, mais on aurait dit. C'était ça, en fait, qui me faisait oublier. Je n'avais pas envie de sang. Enfin, pas tout à fait, puisque je n'étais pas un vampire. Tout le monde sait que ça n'existe pas. Les seuls vrais vampires, se sont les banquiers et les fonctionnaires. Mais ça, c'était simplement ma rancœur personnelle.

Après avoir mangé les framboises, c'était l'heure du combat. Je m'attaquais aux pépins venus s'échouer entre mes dents. D'ailleurs, il m'en manquait. Pas des pépins, des dents. Les garçons quand ils sont jeunes, ils se battent jusqu'à les faire tomber (les dents encore, pas les pépins). Moi je les arrachais. Tout simplement pour que la fée des dents passe plus souvent. Quand ma mère s'est rendue compte de la supercherie, elle était tellement fâchée qu'elle n'a pas voulu me payer de chirurgie pour me les faire recoller. J'ai bien essayé avec de la crazy glue, mais ça n'a pas très bien fonctionné. Parait que c'est mortel cette colle, mais moi, je suis encore vivant.

C'était la seule chose que je trouvais un peu désagréable des framboises : les pépins. Ça prenait toujours des heures avant qu'ils disparaissent tous. Comme les enfants. Ça prend des années avant qu'ils finissent par partir et quand ils partent enfin, si tu as fait autant de conneries que moi, tu te rends compte que ton calvaire n'est pas terminé, parce qu'il y en a d'autres cachés quelque part dans ce bas monde. Comme les pépins de framboises. Quand tu as fini de lutter contre ceux qui se sont incrustés sur tes molaires, tu finis toujours par en découvrir d'autres et c'est de nouveau une lutte sans merci entre l'index de la main droite ou celui de la main gauche (qui ont la langue pour alliée) et ce pépin récalcitrant.

Ça faisait ça aussi avec les grains de pop corn. C'est pour ça que je n'en mangeais jamais. Les framboises, je les tolérais, parce qu'avant de lutter contre les pépins, elles me procuraient un sentiment de plénitude.

Bon la plénitude, elle est différente pour tout le monde. Certains prennent leur pied en faisant l'amour. D'autres en mangeant du chocolat (on dit que le noir est aphrodisiaque). Il y en a pour qui c'est la musique. Parait que le Bolero de Maurice Ravel est hallucinant. J'ai une amie qui l'écoutait en se roulant dans la boue. Elle disait que ça faisait contraste. Elle se sentait sale en écoutant ce qui était pour elle, la chose la plus pure que la Terre est portée. Ce n'est pas bête comme idée, mais moi je n'arrive pas à différencier les instruments de musique. Alors la musique classique, ce n'était pas trop dans mes priorités.

Une autre de mes connaissances, elle, elle faisait des abat-jours en papier mâché. Elle prenait toujours le journal d'il y a trois jours. Si elle les confectionnait un six septembre par exemple, elle prenait le journal du trois. Elle m'en avait fait un pour mon anniversaire il y a quatre ans. Heureusement, elle l'avait fait durant une année bissextile. Elle n'avait pas pris le journal du 29 février, parce que mon anniversaire c'est en juillet, c'est juste que se sont mes années préférées les années bissextiles. Alors ça m'avait touché. Il n'y avait qu'elle et moi qui le savions, mais c'était ça le principal. L'intention était là comme on dit.

Moi ce qui me rend plein, pas au sens sexuel du terme, se sont les framboises. En hiver, ça me coûtait une fortune me les procurer. J'étais devenu le pro du marché noir des framboises. Une année, ce que j'avais fait, j'avais congelé des dizaines de petits paniers de framboises. Vous savez ? Ceux qu'on retrouve dans les petits kiosques sur le bord de la 125 quand on descend dans le nord. J'avais juste oublié qu'une fois congelées, quand je voudrais les mettre sur mes doigts, ça ne marcherait pas. Et quand j'ai besoin de mes framboises, je n'aie pas le temps d'attendre qu'elles décongèlent. J'ai bien essayé de les mettre au micro-ondes, mais avez-vous déjà goûté à ça vous, des framboises au micro-ondes ? C'est vraiment immonde. Bon je dis immonde, mais c'est un peu aussi pour vous impressionner. Si j'étais en train de parler à ma mère, j'aurais plutôt dis que c'était vraiment dégueulasse. Immonde, ça fait beau. Alors comme je ne parle pas à ma mère, je vais le dire. Immonde.

N'empêche, faut que ce soit vraiment dégueulasse pour qu'on dise immonde. C'est presque dire que quelque chose ne mérite pas d'exister. J'en connais pas beaucoup moi des choses ou des personnes qui ne méritent pas d'exister. Peut-être mes enfants, les framboises au micro-ondes et celui qui a inventé la montgolfière. Pas que je le connaisse, je ne pourrais même pas vous dire son nom.

C'est juste qu'une fois, j'ai fait un tour de montgolfière avec mon père et un panier de framboises. Vous vous attendez sûrement à ce que je vous dise que mon père est tombé en bas et que c'est la raison pour laquelle, depuis, je fais une fixation sur les framboises, mais non. J'ai toujours fait une fixation sur les framboises et ni elle, ni mon père ne sont tombés de la montgolfière. J'ai juste détesté mon voyage. C'était vraiment inutile à mon humble avis. Il y a des avions, des planeurs, des delta-planes, pourquoi utiliser encore ce machin dépassé ? Mais mon père, il aimait ça les montgolfières, lui.

C'est peut-être pour ça que je ne le vois plus, mais peut-être pas non plus. De toute façon, il puait de la bouche mon père. Ce n'est pas une très grande perte dans ma vie.

D'ailleurs, je n'avais pas grand-chose à perdre.

Ça m'a repris ce matin, pour oublier ma faim, j'ai mis sur le bout de mes dix doigts (...) des framboises, pas congelées, parce qu'on est en août. Je les ai mangées. Une à une. Ça m'épargnait jusqu'à la fois suivante. Ce n'était pas dramatique, juste un peu embêtant à la limite, parce que c'est difficile de manger dix framboises sur ses doigts certes, mais ce que j'ai oublié de vous mentionner, c'est que je les mange sur mes doigts de pieds.
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Re: Pépins
Posté par strandoyle le 07/04/2007 14:59:30
toujours aussi sublime...du laulo pur.....prenant...introuvable ailleurs.....et de ce fait irremplaçable :-)

**était justement en train de se demander si elle n'allait pas écrire un truc *-) **
Re: Pépins
Posté par ushiwa.sasuke le 03/04/2007 16:43:41
Sympa comme histoire, bon retournement de situation...
Re: Pépins
Posté par andy+me4evah le 31/03/2007 23:04:35
J'ai bien aimé, j'ai trouvé ça bizarre, mais j'ai vraiment bien aimé. En plus, c'est bien écrit! :-) Continue comme ça :-P
Re: Pépins
Posté par nastasia01 le 29/03/2007 17:03:59
C'est pas mal écrit, mais je reste insensible. Pourtant le registre familier j'en ai usé dans mes textes souvent, c'est de l'absurde que tu tente de faire ? Ou alors juste un texte original. Ma foi je me prononce sur celui là, mais je vais aller lire quelques autres textes à toi peut être je découvrirais d'autres choses :)
Re: Pépins
Posté par laulo le 28/03/2007 21:11:52
soldail ---> Tu sais quoi ma petite soldail! J'le savais que si tu passerais par là, tu aimerais moins! C'est un autre style, très nouveau pour moi. Je testais, ensuite, on verra!

(k) Grosses bises ma petite rabajoie (l)
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L'auteur : Somewhere Over the rainbow
36 ans, Montréal (Canada).
Publié le 28 mars 2007
Modifié le 27 mars 2007
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