| "Rejeté parce que je suis jeune et gay" Les jeunes aussi ne sont pas épargnés par la réalité de la vie. Est-ce une banalité de le dire, voire de le répéter ? Sans doute pas. Jeunes et société consacre cette fois un article aux jeunes qui doivent faire face au comportement homophobe de leur environnement proche.Les jeunes sont confrontés à la crise, il suffit de se reporter aux témoignages de certaines associations comme le Secours catholique qui dans sa récente étude pointe la forte précarisation des jeunes de 18 à 25 ans : 30% des jeunes accueillis par cette association sont sans aucune ressource, 36% en logement précaire et plus de 40% sont au chômage. Au contexte socio-économique difficile s'ajoute une fragilisation récurrente de l'environnement familial, souvent douloureuse. A l'exclusion économique se cumule un certain nombre de handicaps sociaux, relationnels, affectifs qui se révèlent la plupart du temps au moment des passages de l'enfance à l'adolescence et puis au monde adulte.
L'année dernière, Jean-Marie Périer, célèbre photographe des années 60, est allé à la rencontre de ces jeunes jetés à la rue du jour au lendemain, sans soutien, sans argent, du fait de leur homosexualité et a écrit "Casse-toi ! ", un livre passionnant à ce sujet.
Jeunes et société a voulu consacrer cet article à ces jeunes qui ont eu un jour "l'audace" de dire à leurs parents qu'ils aimaient une personne du même sexe.
Pour mieux faire savoir cette détresse particulière et cumulative, je me suis entretenu avec Nicolas Noguier, Président de l'association reconnue d'utilité publique "Le Refuge" qui vient en aide aux jeunes homosexuels en rupture familiale.
Jeunes et société : Nicolas, votre association a lancé cette année une campagne d'affichage pour sensibiliser le grand public à la détresse des jeunes homosexuels, quel en a été l'impact ?
Nicolas Noguier : Le refuge est aujourd'hui la seule structure en France reconnue d'utilité publique, conventionnée par l'Etat, à proposer un hébergement temporaire et un accompagnement social, médical et psychologique aux jeunes majeurs, filles et garçons, victimes d'homophobie. Avec cette campagne, il s'est agi d'aborder un sujet méconnu et de pointer, en effet, la détresse de ces jeunes. En le faisant, nous souhaitions aussi mettre leurs proches devant leurs responsabilités.
Cette campagne a permis de dire aux jeunes gays qu'ils ne sont pas seuls au monde.
Victimes du regard, voire de la violence des autres, ils savent qu'ils peuvent avoir un soutien du Refuge à Montpellier, Paris, Marseille et Lyon. Le visuel fort que nous avons choisi pour faire réagir le grand public a touché au coeur en partie les citoyens et sans doute les proches de ces jeunes.
Jeunes et société : Pensez-vous prolonger votre action de mobilisation et de quelle manière ? Nicolas Noguier : Oui, en fonction des partenariats que nous pourrons obtenir; en même temps nous voulons développer nos actions sur le terrain, où sont nos délégations. En effet, grâce à une pratique en réseaux et au soutien de nos partenaires, nous serons en capacité de renforcer nos mesures d'accompagnement individualisé dans plusieurs domaines (aide alimentaire, soutien psychologique, médiation familiale...) et de développer de nombreuses actions de prévention. Aujourd'hui, 30 jeunes en moyenne sont accompagnés par mois. Or l'activité s'accroît chaque année depuis sa création en 2003.
Par ailleurs, 205 jeunes sont en attente de pouvoir intégrer l'un de nos appartements et nos places en hébergement restent encore insuffisantes. En conséquence, la mobilisation du plus grand nombre doit être de tous les instants avec des moyens adaptés.
Jeunes et société : Selon une étude de l'Institut de veille sanitaire de 2007, un tiers des homosexuels de moins de 20 ans auraient tenté de se suicider. Qu'est-ce qui explique plus précisément une telle situation ? Vous évoquez un processus de dévalorisation identitaire, est-ce uniquement cela ?
Nicolas Noguier : Je dirais le rejet social et la perte de l'estime de soi. Je voudrais évoquer sur ce point, le psychologue Eric Verdier* qui a d'ailleurs été l'un des administrateurs fondateurs du Refuge. Il a mis en place en 2004 une dizaine de groupes de parole à Paris et en province. Un suicide adolescent sur deux serait lié à l'homosexualité. Beaucoup ont intériorisé l'homophobie à laquelle ils ont été confrontés tout petit à travers des insultes ou des blagues visant les homosexuels. Du coup, ils se sentent dévalorisés et ils sont incapables d'en parler à leurs proches.
A côté de la question identitaire, nous pourrions aussi citer l'étude américaine de Ryan et Frappier de 2000 qui révèle que 45% des jeunes gays et 20% des jeunes lesbiennes ont été victimes d'insultes et de maltraitance. Enfin, nous notons que plus un jeune découvre tôt ses attirances homosexuelles, plus il est désemparé et risque de se suicider. Au-delà du suicide, on observe aussi une plus grande tendance aux comportements à risque de toutes sortes.
Jeunes et société : Pour conclure, comment voyez-vous l'avenir des jeunes ?
Nicolas Noguier : Naturellement d'un bon oeil, car vous savez, lors de nos permanences, ces jeunes expriment aussi leurs idées et leurs envies d'activités. Après avoir trouvé refuge, auprès de nous, ils arrivent à se projeter, ce qui est formidable. Dernièrement, ils ont voulu créer un journal dans lequel chacun pourrait s'exprimer par l'écrit (poèmes, nouvelles, des écrits plus personnels...). Cette création permettra de renforcer le lien entre tous les jeunes et les bénévoles qui nous rejoignent, mais aussi de permettre à tous ceux qui le veulent de s'essayer à l'écriture. D'autres ont pensé à écrire une chanson. On le voit, l'écoute et l'accompagnement sont très importants; l'amitié, le partage et l'entraide apportés permettent de sortir de la détresse et s'inscrire dans un avenir plus serein.
http://www.le-refuge.org/
* Eric Verdier, chargé de mission à la Ligue des droits de l'homme et coauteur d'"Homosexualité et Suicide". | | |
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