| Tu seras un homme... Déambulation d'un homme hanté par les démons d'une vie qui lui semble étrangère à la sienne. Il fuit les peurs de son enfance qui le assaillent... Petite tentative de décrire la folie (ou pas) de l'intérieur. Seul dans ces rues sombres, il marche a en perdre haleine, il veut tout oublier et se perdre dans ce dédale semblable à sa vie. Il évite de penser, il marche. Il marche sans trop savoir où il va, ce qu'il trouvera au bout du chemin. Il marche, toujours droit devant, sans se retourner...
Ne jamais regarder en arrière, ses erreurs, ses faiblesses. Brouiller les pistes, mettre de la distance entre lui et sa vie d'avant. Il est persuadé que s'il en est réduit à ce malheureux subterfuge, c'est de sa faute. Qui d'autre que lui peut être responsable de ses erreurs ? Il a trop longtemps cherché un bouc émissaire, sans cesse rejeter la faute sur les autres, si bien que progressivement, les autres l'ont fuit, et il se retrouve seul. Seul face à cette détresse monumentale qui l'envahit, qui le ronge de l'intérieur, le fait souffrir et lui fait mal. Il voudrait bien tout abandonner, mais il ne lui reste plus rien. Rien que cette peau, ce corps qui est le sien, dans lequel il est si à l'étroit, dans lequel il suffoque, duquel il voudrait sortir. Il aurait aimé crier sa souffrance, mais qui l'aurait entendu ? Il aurait aimé pouvoir pleurer, mais un homme ne pleure pas. Il ravale donc sa peine, sa douleur, sa détresse abyssale et il marche. Il marche dans le sens contraire de ce vent glacial qui lui fouette le visage. Il a les mains gelées. Des feuilles aux teintes automnales qui oscillent entre le marron et le jaunes jonchent la rue. Le soleil c'est éteint sur la ville et dans son cœur, il doute qu'un jour il retrouvera la paix. Il n'a jamais été l'homme des grands discours, mais il aurait aimé pouvoir se confier, il a si peur. Avoir quelqu'un à ses côtés et ne pas avoir à marcher seul, à la tombée de la nuit, pour éviter de penser, tenter d'oublier. Oublier que sa vie est un monumental gâchis, que tout ce qu'il avait voulu faire c'était soldé par un cuisant échec et qu'il savait désormais qu'il était l'unique responsable. Il n'avait pas su mener sa barque, et maintenant lui même dérivait comme un navire sans capitaine, là où ses pas le mèneraient, là où son cœur trouverait un asile, où ses pensées troublées trouveraient un refuge. Tout abandonner, il y avait songé, mais un homme ne peut pas fuir ses responsabilités.
Il était un homme, un homme tourmenté, un homme détruit, un homme en lambeaux. Comment en était-il arrivé là ? Une succession de choix, tous plus erronés les uns que les autres, une succession de conquêtes inachevées, de projets en suspens... Un manque de confiance évident qui l'avait inexorablement conduit dans cette impasse où il ne tarderait pas à se retrouver. Il n'avait jamais été un homme d'action, spectateur de sa propre vie, tant et si bien qu'il ne savait même pas comment mettre un terme à cette vaste mascarade. Il aurait voulu crier, hurler, se frapper, se tuer, mais à quoi bon ? Personne ne le saurait, il ne manquerait à personne, il n'avait pas le courage nécessaire... Sa vie était un gâchis certes, mais un gâchis dans lequel il souhaitait s'enfoncer durablement, perdre pied, se noyer, jusqu'à ce qu'enfin il touche le fond. Il voulait souffrir, se faire mal à en mourir et rester là à contempler ce spectacle de désolation. Il avait mal au plus profond de son être, mais ce mal était la seule preuve formelle de son existence. Il n'était plus personne, il n'était plus rien, il ne valait plus rien, mais cette blessure béante qui chaque jour s'ouvrait davantage était son seul gage de survie.
Il leva la tête et constata qu'il pouvait entr'apercevoir un coin du ciel. Le ciel ne lui avait jamais été d'aucun secours dans sa misérable existence. Mais de voir scintiller au loin des étoiles, lui rappela qu'un jour sans doute il avait été heureux, qu'un jour sans doute il avait connu la chaleur d'un havre de paix, qu'un jour sans doute il retrouverait tout cela. Mais à quel prix ? Poursuivre cette marche macabre, n'avait plus aucun sens, ses chaussures ne le protégeait plus du froid, et il entend s'insinuer un souffle glacée jusque dans ses os, il n'avait plus froid, il était juste congelé, et pourtant, il continuait à avancer. Marcher, pour défier l'adversité, marcher pour se faire croire que son existence avait un sens, marcher pour oublier.
Il se prenait à penser que s'il avait était quelqu'un de simple, sans histoires, sans passion, sans admirateur, un spectateur de la vie, l'individu lambda qui se contentait de traverser l'existence sans la marquer de son sceau inaltérable, il ne se serait jamais retrouvé seul. Il aurait fondé une famille, aurait eu une ribambelle d'enfants dans un petit jardin derrière une maison de campagne, des rires, la joies, les petits pleurs viendraient avec les petits bobos, mais jamais il n'aurait connu le grand vide qui le transperçait. Qu'avait-il gagné à faire passer sa carrière avant tout ? La reconnaissance de milliers d'inconnus, la sensation exquise de susciter un respect mêlé d'envie et de jalousie, cocktail explosif duquel il devait constamment se protéger... Il ne vivait pas, il survivait dans une jungle hostile où chaque sourire pouvait être une arme à double tranchant, le plus innocent des êtres pouvait être son pire ennemi. Il ne pouvait faire confiance à personne, et cet peur maladive de l'autre le rongeait de l'intérieur. Son état de santé se dégradait progressivement, mais il refusait d'y croire.
Les sirènes retentissaient partout autour de lui, il les entendait résonner dans son crâne. Il avait une folle envie de se tirer une balle dans la tête pour arrêter ce bruit qui l'oppressait, il n'en pouvait plus. Il avait mal, son cœur allait le lâcher d'une minute à l'autre et il voulait le devancer, cependant il hésitait sur les moyens, se jeter sous les roues de cette voiture qui venait de surgir de nulle part et dont les lumières rougeoyant semblaient darder sur lui comme autant de lances menaçantes ou se fracasser la tête contre ce mur qui venait bloquer sa course contre le temps, sa fuite en avant ? Impossible, il était cerné, il n'avait désormais plus d'échappatoire. Ces chacals allaient s'emparer de lui, il ne pouvait plus fuir, plus se cacher, il était acculé, instinctivement il s'accroupit contre le mur, se replie sur lui même et met ses mains devant lui pour se protéger. Mais cette protection rudimentaire est largement insuffisante et la lumière aveuglante le transperce de part en part et il suffoque. Le faisceau se dirige sur lui comme pour mieux le contraindre à se rendre, il ne peut plus rien faire, impuissant, il sent les larmes rouler sur son visage, il les devine diaphanes et silencieuses, mais lui les voudrait inexistantes. " Un homme ne pleure pas, mon fils. Un homme est fort... Un homme ne pleure pas. ". Cette litanie résonne au plus profond de son être, vibre au diapason avec son cœur qui bat la chamade, tressaute comme pour se libérer du carcan de sa cage thoracique, l'étouffe, revient se fracasser sur les écueils de ses pensées qui se transforme par il ne sait quel miracle en cascade, elle viennent de là ses larmes. Il le sait. Toute cette frustration refoulée, ce ressentiment, ces interdits qui ont minés ça vie. Il a envie de hurler qu'on le laisse tranquille, mais ils se rapprochent inexorablement, ils ne vont pas tarder à l'atteindre, ils sont là. Une main se pose sur son épaule, il la sent peser de tout son poids, voudrait s'en défaire, mais n'en à plus la force, il s'abandonne à cette main... NON. Il ne peut pas, il ne doit pas, il n'a pas le droit : ne faire confiance à PERSONNE, pas même à cette main qui se veut rassurante. Mécanisme de défense naturel, il sort les dents et commence à produire un grondement sourd, de la bave dégouline le long de sa mâchoire saillante, il sent que cela vient de ses entrailles, son être tout entier frémis, mais il sait que cette fois cela vient, cela va venir, cela ne va pas pas tarder à sortir... Il ferme les yeux comme pour trouver cette dose de courage qui lui manquait pour les repousser, se protéger lui car sinon qui le ferait ?
Soudain, son cri déchire le silence, fend l'air majestueusement et semble ne jamais devoir s'éteindre. Son cri, celui-là même qui lui a tend fait défaut, se fait maintenant entendre et semble prêt à réveiller toute la ville, il ricoche sur les murs qui paraissent s'écrouler sous la rafale, tout devient trouble autour de lui, autour de lui tout tourne, mais rien ne l'arrêtera. Il hurle, sa souffrance infinie, son mal-être, son désespoir, sa solitude, tous ces maux qui ont peu à peu troublé son existence, fait de l'isolement nécessaire, un exil forcé... Il ne pourra pas s'arrêter seul et cette main tout d'abord amicale se fait de plus en plus ferme, un voix dans sa tête lui dit qu'il doit se taire, garder sa peine pour lui, transformer sa souffrance en force de frappe, relever la tête et avancer car il est un homme, un homme un vrai, mais il n'en a plus la force. Cela fait tellement longtemps maintenant qu'il vit dans ce corps trop grand pour lui, ce corps dans lequel résonne toutes ses frayeurs secrètes avec lesquelles il tente tant bien que mal de cohabiter, ce corps duquel il se sent prisonnier, dans lequel il étouffe. Cette main veut l'en délivrer il le sait, cependant il ignore encore quel prix il est prêt à payer pour vivre libre.
Soudain, une légère piqure d'insecte et c'est le trou noir. Il perd pied, se sent flotter dans une eau trouble, incapable de lutter pour remonter à la surface. Il se laisse sombrer dans cette masse noirâtre et informe. Il vogue sur ces eaux, dérive lentement sans trouver une branche à laquelle se raccrocher, il est à la fois dans son corps et en dehors, il voudrait de nouveau hurler, mais sa bouche est pâteuse. Il abandonne, s'abandonne dans cet univers parallèle qui le happe et oublie tout jusqu'à son existence propre. Il n'est plus, il n'est rien. Pourtant, il réouvre les yeux, quelque secondes après ou des jours plus tard, il l'ignore. Tout autour de lui est lisse, froid, sans âme, immaculé et tellement lumineux. La lumière, l'aveugle et il lui faut du temps pour s'y habituer. C'est tellement apaisant, après son voyage en enfer, hors du temps, en dehors de l'espace, il a l'impression d'avoir touché terre, et cette contrée inconnu lui paraît tellement accueillante, chaude et tranquille qu'il voudrait y rester éternellement. Il ignore où il est, quand on est, mais il n'en a cure. Il est tellement bien. Il se sent libéré de ce poids qui l'a longtemps oppressé.
La porte s'ouvre lentement, venant briser son rêve de paix et d'infini. Sa misanthropie ne va pas tarder à refaire surface, alors il ferme les yeux, fait semblant de dormir et entend les pas se rapprocher de lui, un souffle chaud lui titille le cou, il résiste à l'envie d'entrouvrir ses paupières juste pour satisfaire sa curiosité et préfère se retourner. Il entend donc juste une voix qui lui semble bien lointaine lui chuchoter : " Bonjour monsieur, comment allez-vous ? N'aillez crainte, votre famille va bientôt passer vous voir ? Vous nous avez fait une petite crise, mais tout va mieux maintenant ". | | |
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